Avec 500 000 français opérés ces 10 dernières années, la France fait partie des pays occidentaux qui pratiquent le plus la chirurgie bariatrique. Mais son essor « pose de sérieuses questions », comme le soulignait en 2018 un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS). Technique choisie, prise en charge, respect des recommandations HAS etc., aujourd’hui 3 patients sur 10 ne bénéficient pas de bilan complet avant l’intervention et pour 5 patients sur 10, la date de l’intervention ne respecte pas les délais imposés par la HAS.
Mais la situation est à relativiser. En effet, les chirurgiens de l’obésité surspécialisés exercent pour la majorité dans des centres dédiés à cette pratique, avec la mise de place de parcours patients spécifiques et sécurisés. Les centres ne rentrant pas dans les critères ont été contraints de fermer et cela devrait se généraliser à tous ceux qui ne pratiqueraient pas un nombre d’actes annuel minimum. Par ailleurs, le mini by-pass en omega jugé responsable de complications lourdes a été interdit et les pratiques chirurgicales sont de plus en plus conformes aux recommandations strictes de la HAS.
Côté assureur, bien que la fréquence des réclamations soit élevée avec en moyenne une mise en cause tous les deux ans, pour la 1ère fois en France, le nombre de procédures est en diminution.
Etat des lieux en chirurgie bariatrique
Philippe Auzimour, directeur général Branchet et le Pr Didier Mutter, chef du pôle viscéral & bariatrie Branchet, IRCAD Strasbourg, nous proposent un état des lieux sur les risques et les enjeux de la chirurgie bariatrique.
La chirurgie bariatrique fait-elle partie des pratiques à haut risques ?
Philippe Auzimour : Avec en moyenne une mise en cause tous les deux ans, la chirurgie bariatrique occasionne plus de sinistres que la chirurgie viscérale (un sinistre tous les 3 ans en moyenne).
En ce sens, on peut comparer la fréquence des sinistres des chirurgiens de l’obésité à celle des orthopédistes (une mise en cause tous les 1 an et 10 mois en moyenne). Mais elle reste plus élevée que celle des plasticiens (1 sinistre tous les 3 ans). Ceci s’explique principalement par la nature de la patientèle et le nombre d’actes en forte augmentation au cours des dernières années (+ 30 % par an).
Comment la classez-vous par rapport aux autres spécialités ?
Pr. Didier Mutter : La chirurgie bariatrique a longtemps été considérée, par beaucoup de chirurgiens viscéraux, comme une « annexe » de clientèle. Les particularités de cette chirurgie font que de nombreux chirurgiens ne réalisaient que quelques actes par an (moins de 20 ou 30) sans une organisation stricte et dédiée.
Or, cette pratique implique une plus grande spécialisation mais également une prise en compte qualitative de ces spécificités. Une part importante des sinistres était en lien avec les anneaux gastriques, chirurgie qui ne se pratique plus en France et dont les complications sont liées à des actes ayant été réalisés il y a plusieurs années.
Il n’en demeure pas moins que cette chirurgie fonctionnelle n’est plus à même d’être à l’origine de plaintes de patients en cas de résultats non conformes à leurs attentes.
Quelle est l’évolution de la sinistralité au cours des dix dernières années ?
Philippe Auzimour : Comme je l’ai rappelé plus haut, aujourd’hui la chirurgie bariatrique occasionne plus de sinistres que la chirurgie viscérale (un sinistre tous les 2 ans contre 1 tous les 3 ans en moyenne) mais cette fréquence s’est stabilisée au cours des dernières années.
Ce constat s’inscrit dans une tendance à :
- La réduction du nombre de centres bariatriques passant de 376 en 2007 à 198 en 2016
- La réduction programmée du nombre d’actes
- L’encadrement des pratiques par la Haute Autorité de Santé
- La surspécialisation et l’exercice de groupe de certains chirurgiens dans cette spécialité
Pr. Didier Mutter : Je suis en accord avec cette réponse. Il y a une réduction majeure du nombre d’actes n’entrant pas dans les critères stricts de la HAS et il existe, clairement, une surspécialisation de l’exercice de cette chirurgie amenant à sécuriser sa pratique, tant dans le sens des indications que dans la surveillance, la prise en charge des complications, mais également et de façon importante dans le domaine de la formation.
Aujourd’hui, rares sont les centres pratiquant cette chirurgie qui n’ont pas mis en place de parcours patient spécifique.
Concrètement, quels sont les risques majeurs de cette chirurgie ?
Philippe Auzimour : Le nombre de décès est significatif par rapport à d’autres chirurgies. Cette morbi-mortalité concerne le plus souvent des patient(e)s jeune(s) et donc des sinistres lourds. Néanmoins, du point de vue de l’activité médicale, les données de santé publique font apparaître des avancées notables dans les suites de l’acte. Ainsi, la mortalité globale à 90 jours a été divisée par deux au cours des 10 dernières années, passant de 0,13% en 2007 à 0,08% en 2018.
1 sinistre sur 3 fait suite à des atteintes du tube digestif. 15% des sinistres font suite à un décès, contre 13% sur l’ensemble des chirurgiens viscéraux et digestifs. Les anneaux étaient responsables des deux tiers des réclamations avant 2010, le bypass est monté en puissance depuis et dépasse les anneaux en nombre de réclamations. Un nombre moins important de réclamations fait suite aux gastrectomies.
Les préjudices liés aux arrêts de travail chez des patient(e)s jeun(e)s ainsi que les séquelles suite à des chocs septiques mal pris en charge expliquent le coût des indemnisations.
Pr. Didier Mutter : Il est possible de répondre de la façon suivante :
- La réalisation des chirurgies par anneau gastrique est devenue anecdotique depuis plusieurs années en France, et les complications observées sont celles liées à des chirurgies effectuées il y a plusieurs années avec des complications tardives de type migration.
- Les complications liées aux sleeve gastrectomies sont plus rares, mais cette chirurgie est pratiquée par les centres les moins spécialisés, car il s’agit d’un geste réputé plus « facile » et la qualité de ces réductions de l’estomac n’est pas toujours optimale, (on peut préciser que les patients présentent rarement des réclamations parce qu’ils ne perdent pas assez de poids, alors que ceci devrait être la revendication principale en lien avec les échecs de chirurgie effectuée de façon non optimale.
- La chirurgie de l’obésité la plus efficace actuellement est celle de la réalisation d’un by-pass gastrique, chirurgie relativement complexe et non pratiquée par les chirurgiens peu spécialisés dans ce domaine. Paradoxalement, le taux de complications observées peut être significatif, mais habituellement les chirurgiens sont bien entourés et, même s’il y a des réclamations, elles sont souvent plus faciles à gérer.
👉 Retrouvez plus d’informations sur les différents types de chirurgies de l’obésité et leurs complications associées en consultant notre article dédié : Complications en chirurgie bariatrique : comment les gérer et les éviter ?
Quel est le volume des réclamations conduisant à l’ouverture d’un dossier et le montant moyen des indemnisations ?
Philippe Auzimour : Au cours des six dernières années, Branchet a géré près de 1 000 dossiers en bariatrie dont plus de 200 ont fait l’objet d’une indemnisation pour près de 15 millions d’euros de sommes versées.
Le coût moyen d’un sinistre pour un acte de chirurgie bariatrique est 50 % plus élevé que le coût moyen des sinistres de chirurgie viscérale et digestive hors bariatrie, avec une indemnisation moyenne d’un peu plus de 70K€ pour les sinistres indemnisés, ce qui n’est pas exceptionnel. Mais le taux d’indemnisation reste plus élevé que sur les mises en causes pour des actes strictement viscéraux : près d’un sinistre indemnisé pour 4 réclamations pour des actes de bariatrie, contre moins de 1 sur 5 pour des actes de chirurgie viscérale.
Pr. Didier Mutter : Le coût des sinistres s’explique également par la patientèle. Plus de 90 % des patients sont des femmes jeunes, souvent mères de famille. Les complications chez ces patientes particulièrement fragiles (patientes en mauvais état général en lien avec une dénutrition liée à de multiples régimes) ont habituellement des conséquences majeures tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel, à l’origine de ces coûts d’indemnisation élevés.
Et si on devait comparer avec les États-Unis ?
Philippe Auzimour : Les américains constatent une mise en cause presque tous les 4 ans, soit presque deux fois moins qu’en France. Ceci s’explique par un système judiciaire qui facilite moins les mises en causes de par l’absence de commissions de conciliation et d’indemnisation (CCI). Comme chez nous, le by-pass représente l’acte engendrant le plus de mises en cause (16%), suivi de la sleeve (11%) et de l’anneau (9%). Mais il y a beaucoup à apprendre des américains concernant les corrélations entre patientèle difficile et mises en cause.
Cela varie en fonction de l’indice de masse corporelle (IMC), des comorbidités (scores ASA), et de l’efficacité des mesures de prévention du risque opératoire en bariatrie (alternatives et délais de réflexion, approches multidisciplinaires, suivi post opératoire, applications numériques type nutri-score).
En France, les contraintes liées aux mesures de prévention n’ont pas toujours été respectées par les chirurgiens, tant sur le plan des indications que des mesures de prises en charge des patients entourant l’acte chirurgical. Ceci s’est significativement amélioré ces dernières années suite à la mise en place de mesures de contrôle.
Il y a d’autres particularités chez les Américains.
La première particularité est la réalisation de pose d’anneaux gastriques. Celle-ci était une pratique minoritaire il y a 10 ans, mais elle a pris une place prépondérante ces dernières années. Même si cela tend à décroître rapidement, elle va être à l’origine d’une augmentation de la sinistralité pour quelques années.
En observant le marché américain, il y a également une particularité relative à la prépondérance de patients plus jeunes qu’en France à qui l’on propose des actes chirurgicaux.
Il n’est pas possible de réaliser une analyse sur les chiffres bruts sans prendre en compte ces particularités.
Par ailleurs, l’analyse de la HAS concernant la mise en cause du mini gastrique by-pass en Omega avait pour objectif la mise en œuvre d’un code CCAM pour la prise en charge financière de ce geste chirurgical. Il est clairement apparu, à la lecture des conclusions des experts, qu’il n’existait pas de bénéfice chirurgical identifié pour le mini gastrique by-pass en omega par rapport à un by-pass classique car le mini gastrique by-pass en omega était associé à des complications spécifiques amenant en outre à réaliser occasionnellement une procédure complémentaire, pour transformer le mini bypass en bypass classique.
Le développement du mini gastrique by-pass est essentiellement lié à la réalisation d’un geste chirurgical plus simple, plus rapide, avec moins de risques (réalisation d’une seule anastomose digestive au lieu de deux) sans bénéfice strict pour le patient. L’absence de reconnaissance de ce geste et donc de son financement entre clairement dans l’objectif de la HAS de réduire le nombre de ces gestes chirurgicaux pratiqués par des équipes moins rompues à ce domaine spécifique de chirurgie de l’obésité.
Indirectement pour l’assureur, cela sécurise la pratique et va contribuer à une diminution de la sinistralité à long terme. Ainsi, pour la première fois depuis de nombreuses années, le nombre de procédures est en diminution en France.
Pr Didier MUTTER
Chef du pôle viscéral & digestif Branchet
IRCAD, Strasbourg
Philippe AUZIMOUR
Directeur Général Branchet