Dans le choix de la technique d’anesthésie, le professionnel avisé est bien évidemment l’anesthésiste. Cependant, la volonté du patient reste primordiale…
Illustration par un dossier de Me Laure Soulier, spécialiste de la défense des anesthésistes pour Branchet.
Les faits
Une patiente est reçue en consultation pré-anesthésique par le Docteur MAR 1 dans la perspective d’une intervention de canal carpien gauche par le Docteur CHIR. Après discussion avec la patiente qui lui fait part d’une anxiété importante en lien avec l’intervention, ce dernier préconise la réalisation d’une anesthésie générale.
Le jour de l’intervention, la patiente est vue en visite pré-anesthésique par le Docteur MAR 2. Il discute de nouveau des différentes techniques d’anesthésie et lui explique pourquoi la réalisation d’une anesthésie locorégionale lui semble plus adaptée à l’intervention dont elle va bénéficier.
La patiente indique au Docteur MAR 2 qu’elle avait « peur d’entendre et de voir l’intervention », ce dernier la rassure, lui explique qu’elle sera prémédiquée et lui rappelle les avantages de cette technique. A l’issue de cette nouvelle discussion, la patiente indique au Docteur MAR 2 qu’elle lui fait confiance.
Considérant avoir recueilli le consentement de la patiente, le Docteur MAR 2 réalise une anesthésie locorégionale ; cela permet au Docteur CHIR de procéder sans difficulté au geste chirurgical programmé.
Dans les suites de cette intervention, la patiente présente :
- Une algodystrophie de la main gauche résistante aux infiltrations et à la rééducation
- Une fibrose cicatricielle nécessitant une reprise chirurgicale deux ans après le premier geste pour libération du nerf médian avec mise en place d’un lambeau graisseux de protection
Les griefs
Reprochant au Docteur MAR 2 de ne pas avoir procédé à une anesthésie générale comme cela avait été convenu avec le Docteur MAR 1, la patiente dépose auprès de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) une demande d’indemnisation à l’encontre du Docteur MAR 2 et du Docteur CHIR qui aurait « couvert » son confrère anesthésiste-réanimateur.
Trois Experts sont nommés par la Commission : un chirurgien orthopédiste, un anesthésiste réanimateur et un psychiatre.
Le rapport d’expertise
Les Experts ont retenu la responsabilité du Docteur MAR 2 considérant que le changement de technique d’anesthésie effectué par celui-ci était une faute de nature à engager sa responsabilité.
Selon eux :
« Le refus clairement exprimé par la patiente d’une anesthésie locorégionale, constituait à lui seul une contre-indication absolue à y recourir, même s’il n’avait pas été trouvé une pathologie médicale pour y renoncer.
Après analyse psychiatrique, il apparait que la structure de la personnalité de la patiente l’exposait à une complication dans le cas où le déroulement des faits ne serait pas conforme à sa volonté, ce qui a été le cas.
Ainsi le non-respect par le Docteur MAR 2 des engagements pris en consultation d’anesthésie par son confrère doit être considéré comme directement à l’origine des complications advenues ».
Les arguments de défense du Dr MAR
Pour la défense du Docteur MAR 2, il avait été mis en évidence le principe selon lequel le choix définitif de la technique d’anesthésie se fait à l’issue de la visite pré-anesthésique et appartient à l’anesthésiste prenant effectivement en charge le patient et en accord avec ce dernier.
Le compte-rendu de la consultation pré-anesthésique concluait uniquement à une « AG » sans mentionner les raisons pour lesquelles cette technique avait été choisie et le fait que la patiente était totalement opposée à la réalisation d’une anesthésie locorégionale.
Il a été rappelé l’existence d’une information sur les bénéfices et les risques des différentes techniques d’anesthésie délivrée par le MAR 1 avec la signature par la patiente d’un consentement écrit mentionnant notamment que cette dernière acceptait « les modifications de méthode qui pourraient s’avérer nécessaires pendant l’intervention ».
Le Docteur MAR 2 avait oralement détaillé les éléments de la nouvelle discussion qui avait eu lieu avec la patiente au cours de la visite pré-anesthésique le jour de l’intervention.
Enfin, il avait été mis en avant le fait qu’il n’est pas possible de réaliser une anesthésie locorégionale sans la participation et la coopération du patient et encore moins s’il s’y refuse.
L’avis CCI
La Commission est restée sourde face à ces arguments et a considéré aux termes de son avis que :
« Le Docteur MAR 2 a réalisé une anesthésie locorégionale alors que, lors de la consultation pré-anesthésie, il avait été convenu et noté la réalisation d’une anesthésie générale compte tenu du stress de la patiente. Ce changement de mode opératoire a été décidé de manière unilatérale par le Docteur MAR 2 qui en a informé la patiente avant son entrée au bloc opératoire.
Pour les Experts, compte tenu de la demande expresse de la patiente, aucun élément ne permet d’affirmer qu’informée des risques de l’anesthésie loco-régionale, elle l’aurait acceptée. En page 20 de leur rapport, les hommes de l’art indiquent que « le refus clairement exprimé par la patiente constituait à lui seul une contre-indication absolue à y recourir » chez cette patiente anxieuse, qui avait déjà manifesté son souhait lors de la première intervention de bénéficier d’une anesthésie générale. La patiente installée sur un brancard juste avant le début de l’intervention n’était pas en mesure de consentir à l’acte car elle était déjà prémédiquée.
Le choix critiquable de la technique d’anesthésie mis en œuvre par le Docteur MAR 2 contraire à la demande exprimée par la patiente est à l’origine pour les hommes de l’art d’un « traumatisme psychique d’une importance telle que son équilibre psychique s’en est trouvé malmené pour l’amener à une cascade de troubles physiques complexes ». Le choix de cette technique a décompensé un état psychique qui n’était jusqu’alors pas connu. Si elle avait été informée en temps utile de ce changement de technique d’anesthésie, elle aurait pu s’y soustraire, refuser l’intervention et l’algodystrophie ne serait pas apparue.
Il est ainsi établi que le préjudice subi par la patiente est directement imputable à une faute commise par le Docteur MAR 2 ».
Conclusion
Cette affaire souligne la place du patient quant au choix de la technique d’anesthésie et l’importance de la traçabilité du dossier à ce propos.
Lors de la consultation pré-anesthésique, le patient doit être informé des différentes techniques envisageables et non pas seulement de celle envisagée par l’anesthésiste. Cela est d’autant plus indispensable qu’une modification ultérieure de la technique anesthésique initialement choisie peut être nécessaire.
En cas de préférence affirmée du patient pour une technique d’anesthésie sans contre-indication, il y a lieu de respecter ce choix. En effet, toutes les complications résultant d’une autre technique lui seront à coup sûr reprochées. Il appartient à l’anesthésiste de convaincre le patient de telle ou telle technique qui lui parait la plus adaptée, de tracer les éléments de discussion. À défaut, il devra respecter le choix du patient dûment informé.
S’il doit être discuté dans le cadre de la visite pré-anesthésique d’une modification de la technique, cette discussion doit être tracée par écrit de façon précise en mentionnant le consentement du patient ne pouvant avoir lieu quelques minutes avant la réalisation de l’acte et avec un patient déjà prémédiqué.
Le patient doit donner valablement et librement son consentement sur la nouvelle technique proposée. À défaut le patient n’acceptera pas les risques des complications même non fautives en résultant. C’est l’anesthésiste lui-même qui se met alors en risque.
Si l’anesthésiste considère que la technique demandée par le patient se heurte à une contre-indication formelle par les risques auxquels elle expose ce dernier, il a alors la liberté en conscience professionnelle de se récuser et de faire reporter l’intervention de manière à inviter le patient à faire choix d’un autre anesthésiste.
Rappelons que selon la jurisprudence, il a déjà été considéré qu’un patient qui s’était obstiné à solliciter une technique d’anesthésie dont il avait été dument informé des risques qu’elle présentait pour lui ne pouvait s’en plaindre si ceux-ci s’étaient réalisés.
Une fois encore, le dossier médical reste le bouclier de l’anesthésiste.
Me Laure Soulier, avocat
Cabinet AUBER