Compte rendu opératoire : que dit l’arrêt de la Cour de cassation du 16 octobre 2024 ?

Compte rendu opératoire

On a à maintes fois conseillé aux praticiens de prendre un soin tout particulier à la rédaction de leur compte rendu opératoire (C.R.O) qui permet de retracer le mode opératoire, la technique, le matériel utilisé, les gestes pratiqués, les résultats quantitatifs et qualitatifs, outre le signalement de toutes éventuelles complications.

Le C.R.O est en quelque sorte l’équivalent de « la boîte noire » en aviation. Il sert aussi de document de liaison pour la continuité des soins.

Bien souvent les praticiens, pris par le temps, négligent cette rédaction ou sous- estiment son importance. Il existe de nombreuses décisions judiciaires sur des comptes-rendus jugés incomplets ou stéréotypés que ce soit au niveau civil, pénal, ou ordinal.

S’il appartient au patient de prouver que le praticien a commis un manquement lui ayant causé un préjudice, pour obtenir un dédommagement, en vertu de l’article L 1142-1 du Code de la Santé Publique, ce principe n’est pas applicable en cas de comptes-rendus lacunaires…

Illustration pratique avec un dossier de chirurgie orthopédique dont M° Véronique ESTEVE Avocat au Barreau de NICE nous fait une synthèse permettant d’appréhender l’importance  du compte rendu opératoire mais aussi de se questionner sur son contenu.

Les faits :

En 2012 l’état d’un patient âgé de 39 ans souffrant d’arthrose bilatérale va nécessiter une arthroscopie de la hanche.

En effet au fils des ans, les douleurs du patient s’étant accrues réduisent sa mobilité.

Il accepte donc de se faire opérer dans l’espoir de récupérer une mobilité sportive et de pouvoir retarder la réalisation d’une arthroplastie de la hanche.

Malheureusement au cours de l’intervention, une broche guide métallique de moins d’un millimètre de diamètre se rompt, sans pouvoir être récupérée (incident noté dans le compte rendu opératoire)

Deux ans plus tard, la détérioration rapide de cette articulation aboutit à la nécessité d’une arthroplastie.

Le patient mécontent assigne en justice.

L’expertise :

Un Expert qualifié en chirurgie orthopédique dépose un rapport destiné « à éclairer le Tribunal », concluant en substance :

  • Les soins ont été consciencieux, attentifs et conformes aux règles de l’Art.
  • L’intervention a été rendue difficile du fait de l’étroitesse anatomique de la hanche native majorée par la présence d’arthrose évoluée, qui expliquerait la survenue de la rupture d’une broche guide métallique utile à la mise en place du dilatateur articulaire nécessaire à la création d’un espace de travail dans l’articulation.
  • La rupture de la broche relève de l’aléa thérapeutique 
  • Le chirurgien a respecté les recommandations de la société Française d’Arthroscopie (injection d’air et de sérum dans l’articulation), ainsi que cela résulte nécessairement du geste effectué et du matériel utilisé, ce qui a été formellement confirmé par le chirurgien lors de l’accédit

Toutefois l’Expert ajoute :

  • Le compte-rendu opératoire ne mentionne pas que le chirurgien ait suivi les recommandations de la Société Française d’Arthroscopie aux termes desquelles il convient de commencer l’intervention par l’introduction d’air puis de sérum physiologique dans l’articulation, afin de faciliter la mise en place des dilatateurs articulaires.

Et de conclure :

  • Le fait de ne pas avoir procédé tel qu’il est recommandé peut expliquer les difficultés de l’articulation et donc la survenue de la rupture de la broche et des lésions ostéo-cartilagineuses de la tête fémorale en lien direct avec l’acte thérapeutique réalisé
  • In fine l’Expert retient une faute technique du fait des lésions ostéochondrales occasionnées par l’étroitesse articulaire et la décoaptation insuffisante et l’existence d’un lien de causalité direct (à hauteur de 50%) entre l’acte chirurgical réalisé et la dégradation rapide de la fonction de la hanche. 
  • Le patient conserve un déficit fonctionnel permanent de 2 %.

 Les conclusions de l’Expert paraissent quelque peu confuses…

Le dénouement judiciaire en trois phases :

1.     En première instance, le Tribunal valide les conclusions expertales et condamne le chirurgien à indemniser le patient à hauteur de 50 % des préjudices, eu égard à son état initial et à la nécessité de faire réaliser une arthroplastie.

Le patient fait appel. Il considère devoir être indemnisé en totalité.

2.     La Cour saisie du litige, analyse le rapport d’expertise, le jugeant peu clair, estime que l’état séquellaire du patient -en lien direct avec la rupture d’une broche guide métallique – peut avoir deux origines distinctes :

  • une constitution anatomique du patient atteint d’arthrose

                      ou

  • un manquement du praticien qui n’aurait pas injecté d’air et de sérum, la Cour rajoutant qu’il s’agit d’une hypothèse non avérée.

La Cour rappelle la règle de base en la matière :  

La faute du médecin ne se présume pas. Il appartient à celui qui s’en prévaut d’en faire la démonstration.

Dans le compte rendu opératoire, il était précisé que le chirurgien avait utilisé le matériel spécifique à cette chirurgie à savoir :

  • table orthopédique permettant de mettre la hanche en traction,
  • repérage et un contrôle à l’amplificateur de brillance,
  • ancillaire du laboratoire Smith et Nephew dédié à l’arthroscopie de hanche  

Le chirurgien a toujours maintenu qu’avant l’intervention il a injecté de l’air dans l’articulation à l’aide d’une aiguille puis du sérum physiologique, ce, avec une traction de la hanche sous amplificateur de brillance.

S’il n’a pas retranscrit « cette étape » dans son compte rendu opératoire, c’est parce qu’elle est systématique pour toutes les arthroscopies.

La Cour lui donne raison, considérant qu’il ne pouvait pas être retenu de manquement à son encontre.

3.     Le patient forme un pourvoi en Cassation.

Le 16 octobre 2024 la Cour de Cassation casse l’arrêt de la Cour d’Appel d’Aix En Provence au motif qu’en l’absence d’éléments permettant d’établir que la recommandation a été suivie, il appartient au praticien de prouver que les soins ont été appropriés.

Sur un plan pratique, cette analyse peut paraitre très injuste, en présence d’un chirurgien expérimenté qui avait sans nul doute respecté les recommandations de la Société Française d’Arthroscopie, sauf que les gestes accomplis étaient pour lui tellement systématiques qu’ils n’étaient pas retranscrits dans son compte rendu opératoire

Ce qui peut être une lapalissade pour les professionnels de santé, n’en est pas une pour les Magistrats…

Le choc entre deux mondes !…

Notre conseil : Redoubler de vigilance dans la rédaction des comptes-rendus opératoires

En clair, « ce qui n’est pas marqué, n’est pas fait »

Cette jurisprudence s’applique à toutes les spécialités.


M° Véronique ESTEVE

Avocat au Barreau de NICE

Spécialisée en droit de la Santé                                                                                                   

Cabinet ESTEVE-RUA