La législation applicable en matière d’enfant né handicapé découle de la loi Anti-Perruche, au titre de laquelle : « Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du fait de sa propre naissance. » (Art L 1154.2 du Code de l’action sociale et des familles [1])
Le cadre légal permet donc aux parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse, d’engager la responsabilité d’un professionnel de santé ou d’un établissement de santé à la suite d’une faute caractérisée.
La condition essentielle réside dans l’existence d’une faute caractérisée. M° Véronique ESTÈVE va vous rappeler en quoi peut consister une faute caractérisée, avant de vous exposer un dossier qu’elle a défendu dans lequel la faute caractérisée a bien failli être retenue…
Préambule
Issue de la loi du 4 mars 2002, cette faute repose sur un double critère : la gravité et l’intensité de la faute.
En matière d’échographie, la faute caractérisée doit s’entendre comme celle qui par son intensité et son évidence dépasse la marge d’erreur habituelle d’appréciation, compte tenu des difficultés inhérentes au diagnostic anténatal. Le praticien doit pouvoir justifier de sa compétence et utiliser un appareil performant. Le fait que la patiente soit informée du risque d’erreur s’agissant d’un examen dynamique, ne dédouane pas la responsabilité du praticien.
On retrouve dans la Jurisprudence tout un panel d’exemples de fautes caractérisées, telles que :
- Absence par un échographiste de détection d’une microcéphalie sur des jumelles sans compte rendu écrit complet, mentions des mesures dans le dossier. Évidence des signes malformatifs, les mensurations biométriques céphaliques étant toujours restées inférieures au 3ème percentile, auraient dû constituer un signe d’alerte et faire procéder à une IRM. (C.A AIX EN PROVENCE 2 juillet 2015)
- Avoir mentionné qu’un organe a été vu alors qu’il existe un doute, ou qu’il n’a pas été vu. (Cass. 16 janvier 2013 -CAA Bordeaux 25.03.2014)
- Brièveté du temps d’examen des échographies et caractère stéréotypé des comptes-rendus – Malformation cardiaque non diagnostiquée (CE 18 juin 2019)
Pour autant, afin de pouvoir déterminer une faute caractérisée, les Tribunaux désignent préalablement un Expert. Il est fondamental que le technicien désigné ait toutes les compétences en la matière et dépose un rapport circonstancié répondant à toutes les interrogations scientifiques permettant d’éclairer le Tribunal, sans se contenter d’affirmer ce qui lui parait être une évidence…
Exposé du cas issu de la Jurisprudence et défendu par M° V.ESTÈVE
Un suivi de grossesse est réalisé par deux gynécologues (compétents et disposant de tout le matériel adéquat). Il s’accompagne de plusieurs échographies ne détectant aucune anomalie. À la naissance, c’est le choc !… l’enfant présente une agénésie de l’avant-bras et de la main gauche.
La mère de l’enfant sollicite une expertise judiciaire.
Sur le diagnostic de l’agénésie
L’Expert conclut « rapidement » que l’agénésie aurait dû être visualisée au cours des échographies de la 15ème semaine et du deuxième trimestre, bien qu’il ait validé l’échographie du 1er trimestre qui avait permis à l’opérateur de visualiser les 4 membres ainsi que les extrémités.
Pour parvenir à cette conclusion, l’Expert s’appuie sur un cliché échographique de la 15ème semaine, ne montrant ni le bras ni la main gauche. Toutefois, il passe sous silence le fait que sur ce cliché, le pied gauche est aussi absent sur l’image et pourtant bien présent au moment de la naissance… De la même manière, trois doigts de la main droite ne sont pas visualisables alors que l’enfant n’en est pas démuni.
L’expert considère que les deux praticiens ont fait une interprétation erronée de l’imagerie lors de l’échographie du 2ème trimestre, en affirmant que le membre était visible dans ses 3 segments, alors que selon l’Expert il ne l’était pas, se fondant sur l’échographie litigieuse de la 15ème semaine.
Pour lui, la négligence est indiscutable, vu son évidence …
Sur les conséquences
L’Expert soutient de façon quasi dogmatique qu’un Centre Pluridisciplinaire de Diagnostic Prénatal Parisien aurait accepté la demande d’IMG de la mère si elle avait été informée du handicap de son enfant. Il considère que la gravité d’une amputation de membre ne se juge pas seulement à l’aune du déficit fonctionnel de l’enfant, mais également à la capacité des parents (en l’occurrence la mère) à assumer le handicap.
(Pour info. la mère avait toujours soutenu haut et fort notamment dans les médias, qu’elle se serait fait avorter si elle avait su… )
L’Expert dépose son pré-rapport.
Nous adressons un dire à l’Expert évoquant plusieurs arguments, dont la possibilité de survenue de brides amniotiques… L’Expert en fait table rase, sans aucune explication. Nous en profitons pour lui rappeler les dispositions de l’article L 2213-1 al.1 du C.S.P [2], les conditions légales d’IMG n’étant pas fonction d’un Centre…
L’Expert ne modifie pas une ligne de ses conclusions. Le rapport en l’état est accablant pour nos deux gynécologues.
Voici quelle a été notre stratégie de défense :
Sur le diagnostic prénatal
Nous produisons un avis critique d’un spécialiste très avisé et très réputé en la matière, contredisant les conclusions expertales par des explications scientifiques.
En résumé, cet hyper- spécialiste confirmait la plausibilité du diagnostic de brides amniotiques, la patiente ayant eu des métrorragies à 8 semaines d’aménorrhées pouvant être à l’origine d’une cicatrice amniotique et d’une bride. Il soulignait que la pathologie des brides amniotiques est extrêmement difficile à voir en échographie, pouvant se réaliser assez progressivement au cours du 2ème voire du 3ème trimestre.
En outre trois segments du membre supérieur gauche de l’enfant avaient pu être visibles lors de l’échographie du 1er trimestre, et le bras de l’enfant présentait des ébauches de doigts au niveau de l’amputation, ce qui permettait de considérer que la patiente avait présenté une maladie des brides amniotiques, causant secondairement une amputation distale du membre supérieur du fœtus.
Ainsi les gynécologues avaient très bien pu voir à plusieurs reprises les 4 segments de membres sans que ceux-ci soient anormaux, la pathologie étant apparue secondairement et tardivement dans la grossesse. Il était encore précisé que l’examen de tous les clichés produits ne montraient à aucun endroit et à aucun niveau la possibilité de faire un diagnostic prénatal de l’amputation.
Sur la perte de chance de faire pratiquer une IMG (soutenue à titre subsidiaire)
Nous n’avons pas hésité à interroger le CPDP Parisien cité par l’Expert.
En réponse le CPDP concerné a catégoriquement contesté les propos tenus par l’Expert. Au regard de l’anomalie présentée par l’enfant, il n’était donc pas possible d’affirmer que la demande d’IMG aurait été acceptée si la patiente avait pu formuler la demande.
Il faut rappeler que le fœtus n’était pas atteint « d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable » au moment du diagnostic – critère permettant d’envisager la possibilité de recourir à une IMG. En effet, malgré son handicap, l’enfant est en bonne santé, ne présente aucun retard psychologique ou moteur et peut être appareillé.
La grossesse n’avait pu davantage mettre en péril la santé de la mère. L’analyse de l’Expert était ainsi battue en brèche à tous les niveaux. Le Tribunal allait-il homologuer purement et simplement les conclusions expertales et conclure à l’existence de fautes caractérisées, ou prendre en considération nos arguments de défense bien étoffés ?
On pouvait toujours craindre humainement le risque d’empathie…manifesté notamment lors de l’audience. Il n’en a rien été.
Dans son Jugement le Tribunal a considéré que l’avis scientifique produit n’était pas utilement contredit, étant souligné que nous avions demandé dans un dire à l’Expert de se prononcer sur la possibilité de survenue de brides amniotiques, argument qu’il s’était contenté de rejeter sans explication. Le Tribunal a ainsi écarté totalement les conclusions expertales jugées non pertinentes et a admis le fait que la malformation ait pu survenir à un stade où elle n’était plus détectable.
Aucune faute n’a été retenue à l’encontre des deux gynécologues.
La demanderesse a alors interjeté appel du Jugement. (Elle sollicitait prés de 3 millions d’euros, ce qui, en tout état de cause, était totalement illusoire)
La Cour d’Appel examinant une 2ème fois l’intégralité du dossier et des pièces, a été également très sensible à nos arguments. Dans un arrêt parfaitement motivé, elle a balayé la pseudo-évidence du cliché échographique litigieux et confirmé le Jugement querellé, réaffirmant l’absence de faute caractérisée dans le suivi de la grossesse.
Conclusion du cas de l’agénésie de l’enfant
Il s’agit là d’une décision intéressante à plus d’un titre :
- D’une part, le Tribunal puis la Cour, n’ont pas hésité à désavouer un rapport expertal, dont les conclusions manquaient totalement de pertinence, et se sont appuyés techniquement sur l’avis scientifique que nous avions produit, la Cour soulignant : « rien ne permet de considérer qu’il relève plus de la solidarité de corps que de la rigueur scientifique ».
- D’autre part, il a été rappelé que l’échographie est un examen dynamique, et que la preuve d’une amputation ne saurait être affirmée sur la base d’un seul cliché d’échographie non probant.
- Enfin il faut préciser que le dossier échographique était bien tenu, (comptes rendus écrits, documents d’information signés), les praticiens ayant justifié de leur expérience, leur formation et leur matériel.
Il y a donc bel et bien des limites à la responsabilité des gynécologues obstétriciens en matière de diagnostic prénatal. Il y a aussi des limites aux expertises non pertinentes…
[1] « Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance’ ; l’enfant né avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer. Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis à vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice personnel, excluant toute indemnisation au titre de leurs ‘ charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, du handicap, la compensation d’un tel préjudice relevant de la solidarité nationale »
[2] L’interruption volontaire d’une grossesse peut, à toute époque, être pratiquée si deux médecins membres d’une équipe pluridisciplinaire attestent, après que cette équipe a rendu son avis consultatif, soit que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme, soit qu’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic.
Véronique ESTÈVE
Avocat au Barreau de NICE
Spécialiste en droit de la Santé