L’incontinence urinaire et anale est pathologie délicate à exposer et parfois difficile à prendre en charge. A travers ce cas juridique, revenons sur un litige survenu à la la suite d’une décompression du nerf pudendal et ayant donné lieu à un arrêt de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence.
Au départ
Une patiente de 41 ans qui avait eu deux enfants, se plaignait depuis 2002 de douleurs périnéales persistantes avec une sensation de pression interne et de corps étranger intra-rectal, gênant la position assise, outre des symptômes urinaires avec des mictions toutes les heures et des douleurs mictionnelles à type de brûlures. Son médecin traitant l’adressa à un urologue qui lui fit passer divers examens et ne détecta aucune pathologie urinaire.
En janvier 2005, la patiente va être dirigée vers un centre de gynécologie réputé dans la prise en charge des pathologies pudendales. La patiente est soigneusement écoutée dans la description de ses symptômes et de ses douleurs. Des investigations complémentaires sont réalisées (dont une électromyographie mettant en évidence des ralentissements des conductions nerveuses des nerfs pudendaux orientant vers une compression tronculaire serrée à gauche et au niveau du canal d’Alcock à droite).
Des infiltrations des nerfs pudendaux sont réalisées. La première apporte un soulagement à la patiente pendant 10 jours, malheureusement l’infiltration suivante est un échec. La patiente est déçue, se désespère et ne supporte plus ses douleurs. Il lui est alors proposé une chirurgie après qu’une information détaillée lui a été donnée sur les risques, lui laissant en outre un long délai de réflexion. En juin 2005, il est procédé à une décompression pudendale bilatérale par voie rétropéritonéale trans-ischio rectale directe.
Sept jours plus tard…
La patiente ne présente plus de névralgie pudendale. Malheureusement…elle est remplacée par une importante douleur fessière cicatricielle et à la hanche droite. Elle sera remise sous antalgiques. Après une rééducation, il est procédé à de premières investigations (scanner, IRM) qui n’apportent pas grand-chose. La patiente a un bilan normal, pas de syndrome inflammatoire. Les investigations se poursuivent (échographie pelvienne, electromyographie, IRM médullaire, IRM du rachis lombaire, radiographie du bassin et de la hanche) et des praticiens orthopédistes et rhumatologues vont être appelés en renfort, en vain.
Le gynécologue va se diriger vers un syndrome du muscle piriforme. Après une infiltration infructueuse de la hanche droite, en janvier 2007, il va être procédé à une section du tendon du muscle piriforme droit. Après cette intervention, la patiente n’étant pas améliorée, les investigations vont reprendre (échodoppler, électromyographie, échographie de l’appareil urinaire, IRM du bassin, radiographie du bassin, IRM périnéale, défécographie etc…).
En août 2008, la patiente est opérée d’une cure de prolapsus génital avec neurolyse pudendale qui va être à l’origine d’une très nette amélioration des symptômes urinaires. Deux ans plus tard elle passe une arthroscopie de la hanche droite à l’hôpital au cours de laquelle il est procédé à une capsulotomie. Il lui est proposé de la rééducation périnéale et de la hanche droite et une prise en charge dans un centre antidouleur. La patiente continuera à se plaindre d’un tableau complexe associant des fuites urinaires post-mictionnelles et un syndrome douloureux pelvi-périnéal.
Demande d’indemnisation amiable à la CCI
La patiente s’adresse à la CCI qui instaure une mesure d’expertise médicale. Le gynécologue désigné est également Expert judiciaire et a toutes les compétences requises pour procéder à l’analyse de cette prise en charge liée à une pathologie de prise en charge chirurgicale relativement récente.
L’Expert conclut que les soins donnés ont été conformes et que l’indication posée était justifiée. Il ne retrouve aucun manquement dans la prise en charge pré, per et post opératoire. Il conclut à la survenue d’un accident médical et expose que la chirurgie de décompression du nerf pudendal est réservée aux échecs des traitements médicaux et donnerait 60 % d’amélioration à un an, voire plus selon les centres (90 % selon le centre concerné).
L’Expert précise que le préjudice de la patiente n’est imputable à un accident médical qu’à hauteur de 50 %, le surplus du dommage résultant de son état antérieur. Selon l’expert l’évolution vers un syndrome du piriforme surviendrait dans 16 % à 20 % des suites de ce type d’intervention. L’Expert évalue les préjudices et conclut notamment à un DFP de 10 % à un arrêt de travail supérieur à 6 mois (qui n’ont toutefois pas eu d’incidence professionnelle), outre divers préjudices.
👉 En 2013, la CCI va rejeter la demande d’indemnisation de la patiente, ne retenant aucun défaut d’information et considérant que la complication ne peut être qualifiée d’accident médical non fautif dès lors que la patiente n’a pas eu de conséquences anormales au regard de son état de santé initial comme de l’évolution prévisible de celui-ci.
La patiente décide alors de saisir le Tribunal et de reprendre la procédure au contradictoire de l’ONIAM. L’ONIAM n’ayant pas participé aux opérations d’expertise intervenues dans le cadre de la CCI, pouvait solliciter une nouvelle expertise. L’Office procède toujours à une évaluation de l’intérêt à solliciter une nouvelle expertise.
En l’espèce, les préjudices évalués par l’Expert étaient relativement faibles. L’Expert avait précisé que l’accident médical n’intervenait de toute façon qu’à hauteur de 50 % des préjudices et qu’il n’avait pas entrainé de conséquences anormales par rapport à l’état antérieur de la patiente, ce qui permettait à l’ONIAM de demander le débouté de la patiente. En outre les conclusions expertales étaient étoffées et cohérentes. Aucune des parties ne remettra en cause le rapport d’expertise.
Stratégie du Conseil de la patiente
Elle va demander une indemnisation non seulement à l’ONIAM mais aussi au praticien :
- à À l’ONIAM estimant avoir été victime d’un accident médical dont les conséquences sont anormales, elle réclame la prise en charge de l’Office à hauteur de 50 %.
- au praticien pour un défaut d’information, estimant que le taux du risque d’échec n’avait pas été porté à sa connaissance et que la réaction myo-fasciale du muscle piriforme n’avait été évoquée dans les suites opératoires que comme un trouble transitoire et de courte durée.
💡 Elle estime avoir été victime d’une perte de chance qu’elle évalue à 50 % d’avoir pu renoncer à se faire opérer. Par cette stratégie, la patiente comptait bien percevoir une indemnisation à 100 %.
Notre défense
L’Expert avait validé l’information donnée ; la patiente n’avait pas contesté l’information lors des opérations d’expertise.
En outre, il existait un faisceau d’indices permettant de confirmer l’information donnée à savoir :
- Le nombre de consultations
- Le délai de réflexion
- Les examens pratiqués en préopératoire
- Le traitement médical de première intention
- Les alternatives thérapeutiques exposées oralement
Ce qui avait été admis par la patiente, outre bien évidemment la remise d’une fiche d’information très détaillée et d’un consentement signé.
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La position de l’ONIAM
Pour sa part, l’ONIAM va exposer que les conditions d’indemnisation ne sont pas remplies puisque le dommage résultait d’un état antérieur et d’un risque particulièrement élevé. L’ONIAM souligne que l’état de santé de la patiente en l’absence de traitement chirurgical aurait été le même, voire d’une gravité supérieure à celui constaté après l’intervention. En effet, si la patiente présentait des douleurs pudendales sensiblement équivalentes à celles présentées avant l’intervention et des douleurs à la hanche, elle ne présentait plus de symptôme urinaire invalidant.
Le Jugement
Le Tribunal va accorder une indemnisation à la patiente, pas sur le fondement d’un accident médical indemnisable par l’ONIAM mais… pour défaut d’information imputable au gynécologue, ce qui va contraindre l’assureur à indemniser la patiente à hauteur d’une perte de chance fixée par le Tribunal à 20 % de ses préjudices, outre une indemnisation pour préjudice moral d’impréparation.
Sans aucun doute le Tribunal a été ému par le parcours médical douloureux de la patiente et ses souffrances. En exécution du Jugement, l’assureur du gynécologue procède au règlement. Totalement mise en confiance par ce Jugement, la patiente fait appel dans le but d’obtenir 100 % de ses préjudices.
➡️ Elle n’ignore pas qu’en procédant ainsi, elle remet en jeu l’indemnisation obtenue, ce qui ne l’effraie nullement puisqu’elle escompte obtenir beaucoup plus.
Soit !…
Nous faisons alors un appel incident pour le gynécologue afin d’obtenir la réformation de la décision, étant précisé que l’ONIAM demande la confirmation du Jugement puisque l’Office n’avait pas été condamné par le Tribunal.
La notion d’appel incident est judicieuse puisque même si ce n’est pas le gynécologue qui a déclenché la procédure d’appel, il peut la reprendre à son compte et demander à la Cour de rejuger l’intégralité du litige, à son avantage.
Finalement dans sa procédure d’appel la patiente rappelle une fable de La Fontaine, La laitière et le pot au lait :
« Perrette sur sa tête ayant un pot au lait
Bien posé sur un coussinet
Prétendait arriver sans encombre à la ville »
Vous allez comprendre pourquoi.
Notre défense en appel
Après avoir rappelé la grande expérience du gynécologue concerné en matière de prise en charge de pathologie du nerf pudendal, nous sommes revenus sur le défaut d’information qui nous avait valu une condamnation pour perte de chance de renoncer à l’intervention. Nous avons repris notre argumentation de 1ère instance sur les différents indices d’information donnés.
S’il était exact que le praticien n’avait pas fourni d’information précise sur le taux d’échec et l’atteinte possible du muscle piriforme, il n’en demeurait pas moins que la prise en charge préopératoire avait été très complète et explicite (document de consentement éclairé, fiche d’info, délai de réflexion, examens préalables, infiltrations).
Nous avons insisté sur un point particulier, à savoir les conséquences liées à une éventuelle insuffisance d’information.
En effet, pour qu’il y ait perte de chance, il faut que la patiente ait pu réellement renoncer à l’intervention. Or dans le cas précis, comment soutenir sérieusement que la patiente aurait renoncé à l’intervention si elle avait été informée de ce risque précis -somme toute théorique en préopératoire- sachant qu’elle en avait accepté d’autres beaucoup plus graves ?
Mais surtout, elle avait déclaré présenter depuis 3 ans des douleurs intenses dans la région vulvaire, selon son expression « à hurler », outre les symptômes urinaires invalidants dont aucun traitement médicamenteux ou médical (infiltrations) n’était venu à bout… au point qu’elle décrivait sa vie comme un enfer !
Cette fois, nous faisons mouche…
La Cour d’Appel…
…admet parfaitement notre raisonnement et reconnait que la patiente n’aurait pas renoncé à l’intervention, même si elle avait reçu en préopératoire des informations complémentaires.
Le Jugement est ainsi réformé. La patiente ne parviendra pas davantage à faire condamner l’ONIAM. La condition d’anormalité du dommage n’est pas remplie, eu égard à l’état antérieur de la patiente. Elle perd en appel son indemnisation pour perte de chance et remboursera la quasi-totalité des sommes obtenues (sauf celle pour préjudice moral d’impréparation).
Aux douleurs liées à sa pathologie, se rajoute l’amertume…
M° Véronique ESTÈVE
Avocat spécialisé en droit de la Santé
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