Dans nos derniers numéros de Check-List, nous nous sommes inquiétés des nombreuses difficultés rencontrées par nos médecins concernant la reprise chirurgicale rendue très difficile par le manque de personnels mis à disposition dans les blocs essentiellement. Les nombreux appels de nos assurés à notre assistance juridique traduisaient un malaise réel avec leurs établissements et une dégradation des conditions de sécurité, source potentielle de problèmes juridiques.
Il suffit d’écouter les news où que ce soit : le principal responsable incriminé est la pénurie d’infirmières, leur lassitude après cette crise, une démotivation quasi générale et pas seulement une démotivation financière. Bref, aujourd’hui en France comme dans de nombreux pays européens, on nous dit que les infirmières ne veulent plus travailler.
Nous assurons plus de 7000 spécialistes, essentiellement du plateau technique lourd. Parmi eux des voix se sont élevées pour nous donner une version plus nuancée de la pénurie. Oui, il est difficile de recruter des infirmières, mais il existe des moyens de les garder ou de les attirer.
Deux praticiens assurés Branchet l’un Président de CME et l’autre PDG de sa clinique nous parlent de leur expérience
L’avis du Dr Ferreira, orthopédiste, Président de la CME de la clinique du Parc à Lyon, sur la pénurie d’infirmières
Vous avez repris récemment votre casquette de Président de CME. Quel constat faites-vous sur cette problématique de la pénurie d’infirmières ?
Il y a effectivement une fuite des infirmières après cette crise sanitaire, mais ce n’est pas la seule explication : les salaires historiquement trop bas et l’absence de perspective de carrière, le ras le bol, le manque de considération. D’où une perte de vocation qui se traduit aujourd’hui par une forte diminution des inscriptions dans les écoles d’infirmières.
Dans mon établissement les infirmiers et infirmières sont plutôt contents des conditions de travail dans les services d’hospitalisation, mais se plaignent surtout des rémunérations ; au bloc, elles se plaignent moins du salaire, mais surtout des conditions de travail puisqu’elles doivent s’adapter au temps de travail chirurgical qui, lui, est très variable. Leurs organisations personnelles sont très compliquées et affectées par l’instabilité des horaires. Et moins il y a d’infirmières plus il est difficile d’avoir une organisation de travail stable. Enfin, la réforme sur l’obligation d’obtenir la qualification d’IBODE rebute certains.
Quelles décisions avez-vous prises ?
À partir de ce constat, à quatre chirurgiens, nous avons décidé d’embaucher 2 IBODE. Pour elles qui travaillaient déjà dans l’établissement la très grosse différence a porté sur la qualité de travail : stabilité, respect des horaires, fluidité. Et pour nous, chirurgiens, nous évitons le turn-over des instrumentistes ; avec toujours les mêmes IBODE nous nous garantissons une sécurité et une efficacité supérieures. En revanche cela nous demande une implication dans la gestion des RH auparavant assurée par la clinique.
Qu’est-ce que cela a changé pour vous ?
La clinique a du supprimé des vacations opératoires par manque de personnel en salle ; avec nos 2 IBODE pouvant assurer les rôles d’instrumentiste et de panseuse, nous sommes cependant moins dépendants de cette situation et donc de la clinique. Nous avons pu ainsi récupérer quelques-unes de ces vacations nous permettant d’éviter de perdre de l’activité chirurgicale et de rémunérer nos IBODES « au chômage ». Nous avons donc retrouvé une part de l’indépendance que nous avions perdue et une certaine autonomie vis-à-vis des cliniques et des grands groupes.
Sans être indiscret, comment cela se passe financièrement ?
Embaucher des IBODE nous revient plus cher annuellement que de louer des heures d’instrumentation à la clinique, mais il s’agit d’un investissement en termes de sécurité et de sérénité. Avant la clinique nous refacturait les aides opératoires avec une TVA à 20% mais elle gérait les vacances des personnels et nous n’avions pas de charge d’IBODE durant nos absences.
Dans les cas où notre équipe assure entièrement le fonctionnement d’une salle opératoire, notre SCM facture à la clinique les heures passées au bloc normalement prises en charge dans le GHS. Il s’agit d’une facturation au prix réel. Le problème de la TVA ne se pose pas tant que nous restons en dessous du seuil annuel de 34 400€ de facturation. C’est donc une opération fiscalement assez simple.
Au bout du compte les médecins sont bénéficiaires puisque nous pouvons continuer à opérer. En revanche, cela n’influe pas sur le taux de la redevance puisque la fourniture des aides opératoires n’est pas prévue contractuellement dans notre établissement.
Finalement si avoir ses propres IBODE coûte un peu plus cher. Nous avons en revanche retrouvé notre liberté d’action et fidélisé et rassuré des IBODE qui risquaient de partir. C’est un compromis « gagnant-gagnant » qui profite à tout le monde.
Les réponses du Dr Cuche, PDG de la clinique Saint Charles à Lyon et anesthésiste-réanimateur, sur le manque d’infirmières
Dans un paysage où les cliniques indépendantes deviennent de plus en plus rares, pouvez-vous nous dire comment vous vivez cette période de pénurie d’infirmières ?
Il n’est pas question pour moi de donner des leçons, mais d’expliquer notre vécu et notre expérience sachant que notre établissement ne dispose pas de réanimation, nous avons été moins impactés que nos autres collègues (pour autant nous avons mis à disposition des hôpitaux notre personnel lors des différentes vagues épidémiques).
En fait la problématique des infirmières remonte bien avant la crise COVID avec entre-autre l’obligation d’avoir des IBODE dans toutes les salles alors qu’il n’y en a de toute façon pas assez de formées pour tous les établissements. Par exemple dans la région Rhône Alpes Auvergne il en sort quelques dizaines d’IBODE par an, ce qui est notoirement insuffisant.
Mais ce n’est pas le seul problème. Avant la crise, nous travaillions très peu avec l’intérim, alors que dans la grande majorité des établissements l’intérim servait de variable d’ajustement en fonction de l’activité opératoire. Cette situation tendue au quotidien est devenue dramatique avec la crise. Dans notre établissement qui a une structure familiale, nous n’avons jamais raisonné comme cela. Nous avons une souplesse dans le partage des bénéfices et nous limitons la distribution de dividendes et favorisons l’investissement.
Comment ça marche ?
La clinique appartient à la quasi-totalité des praticiens. Chacun a adhéré à un pacte d’associés et de valeurs communes, s’engage à respecter l’organisation du travail et ainsi limiter l’ascenseur émotionnel des changements de plannings intempestifs. Nous essayons d’être le plus vertueux possible dans le respect de tous les collaborateurs de l’établissement.
Un médecin qui travaille dans un groupe ne gère pas le personnel, nous oui. Comme la clinique nous appartient collectivement, nous sommes attentifs à une vie sociale apaisée. Il ne s’agit pas seulement de la responsabilité collective des groupes ou des établissements, c’est aussi la responsabilité individuelle des opérateurs qui veulent faire leur programme même si cela « déborde ». Ce sont les soignants qui en pâtissent et cela crée immanquablement des crises.
En quoi votre système se différencie-t-il financièrement ?
Nous avons été très attentifs à redistribuer une part des résultats au travers de la participation et de l’intéressement. Nous privilégions nos personnels tout autant que nos actionnaires. En fait les salaires chez nous ne sont pas significativement différents des autres établissements. Le sujet de la rémunération des infirmiers est pour moi un problème historique (le temps où les religieuses travaillaient quasiment gratuitement). Les salaires des infirmières sont restés très bas en partant du principe que les soignants aiment leur métier ! C’est un peu simpliste, mais c’était une réalité et cela ne suffit plus.
J’attache beaucoup d’importance aux professions dites intermédiaires : il y a un tel gap entre une infirmière qui a fait 3 ans d’études et un médecin qui en a fait au moins 10. Il est très important de pouvoir upgrader ces métiers de soins (IADE, IBODE, IPA- Infirmiers de Pratique Avancées, etc.) pour revaloriser leur profession. Nous avons mis l’accent sur la formation des IDE et dans nos revalorisations salariales, sur les professions du champ opératoire (comme nous dirigeons une clinique chirurgicale) sans oublier les autres salariés. Il faut trouver les bons ajustements.
Si on comprend bien votre clinique a un très faible turn-over ?
Oui, c’est vrai parce que le personnel s’y sent bien et je pense pour la plupart (comme pour les associés) sont fiers de travailler pour leur clinique. Dans le secteur privé les médecins ont compris qu’en embauchant leurs personnels, ils gagnaient en liberté vis-à-vis de leur établissement. À ce titre nous avons perdu plusieurs infirmières qui sont parties vers des médecins qui ont bien compris leur intérêt à embaucher leurs infirmières avec de meilleurs salaires (mais ce sera à eux désormais d’assurer le « service RH »).
Enfin je suis interrogatif sur tous ces professionnels qui abandonnent purement et simplement leur métier, certes après deux ans de gilets jaunes puis deux ans de COVID (crise qui n’est pas terminée) et certainement une crise de l’énergie à venir C’est une vraie problématique qui semble d’ailleurs ne pas concerner que le secteur de la santé.
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