Retour sur les faits
Madame X, âgée de 39 ans, présentait une rétromandibulie ainsi qu’une déviation maxillaire à droite.
Le 13 janvier 2010, le Docteur Y, chirurgien maxillo-facial, réalisait une ostéotomie bi-maxillaire.
Les suites de cette intervention étaient marquées par des douleurs, ainsi que par des hypoesthésies.
Comme celles-ci perduraient, le Docteur Y revoyait Madame X à de nombreuses reprises.
Dans les suites, Madame X souhaitait s’adresser à un autre praticien, le Professeur Z.
Le 11 juin 2014, une radiographie mettait en évidence « une réduction de 50% du canal mandibulaire, en regard des deux vis inférieures gauches ».
Le 26 août 2014, le Professeur Z procédait à l’ablation des vis mandibulaires.
Les suites immédiates de cette intervention se révélaient satisfaisantes toutefois, les douleurs réapparaissaient quelques semaines plus tard.
La procédure judiciaire et l’expertise
C’est dans ces conditions, que Madame X sollicitait une expertise judiciaire qui concluait qu’une atteinte du nerf mandibulaire était intervenue en peropératoire. Selon l’Expert, cette atteinte nerveuse caractérisait un aléa thérapeutique pouvant survenir dans ce type de chirurgie.
En outre, il considérait que le suivi postopératoire du Docteur Y avait été insuffisant. En effet, il estimait que ce dernier aurait dû procéder à des contrôles cliniques répétés ainsi qu’à un bilan radiologique dans les six premiers mois postopératoires, ce qui aurait alors permis de discuter d’une éventuelle reprise chirurgicale.
Cependant, l’Expert ajoutait, et c’est ce qui fait tout l’intérêt de cette affaire, qu’il n’était pas certain qu’une reprise plus précoce se serait révélée efficace et que l’origine de la lésion ne pouvait être connue avec certitude.
Sur la base de ces conclusions expertales, Madame X assignait ensuite le Docteur Y devant le Juge du fond. Elle sollicitait la condamnation de ce praticien, au regard du suivi insuffisant qui pouvait lui être reproché selon le rapport d’expertise, à réparer l’ensemble de ses préjudices.
La problématique
Toutefois, et contrairement à ce qu’exposait Madame X dans ses écritures, il ne nous apparaissait pas du tout évident que la responsabilité du Docteur Y était susceptible d’être engagée dans cette affaire.
Nous avons alors organisé notre défense en deux temps.
Tout d’abord, il apparaissait indispensable de rappeler les règles de la responsabilité médicale afin de poser les bases de notre raisonnement avec en toile de fond l’obligation de moyens du praticien et la nécessité, pour le patient, de rapporter la preuve d’une faute bien sûr, mais également d’un lien de causalité entre cette dernière et le dommage allégué.
Dans un second temps, nous avons exposé nos arguments, lesquels reposaient essentiellement sur l’absence de manquement pouvant être reproché au Docteur Y, ainsi que sur l’absence de lien de causalité direct entre ces prétendus manquements et le préjudice de Madame X.
En effet, concernant cette absence d’imputabilité, nous avons insisté sur le fait que l’Expert n’avait tiré aucune conséquence des reproches qu’il avait formulés à l’encontre du Docteur Y.
Au contraire, celui-ci avait souligné qu’il n’était pas du tout certain qu’une prise en charge postopératoire différente aurait permis de modifier l’évolution péjorative qui est intervenue.
L’Expert indiquait, en effet, dans son rapport d’expertise :
« Rien ne permet cependant d’affirmer avec certitude que cette dépose plus précoce, à 1 mois, 3 mois, 6 mois, 1 an, aurait permis une guérison du nerf ou une évolution moins défavorable. En effet, la lésion initiale est souvent suffisante à l’évolution défavorable observée ».
Cette explication était également celle qui nous avions retrouvée au sein de la littérature médicale, les articles faisant en effet observer que la manipulation peropératoire du nerf suffisait à provoquer les séquelles observées.
C’est ainsi, que nous avions conclu qu’aucun lien de causalité direct et certain n’existait entre le manquement évoqué par l’Expert et les préjudices de Madame X.
La responsabilité du Docteur Y ne pouvait donc pas être engagée.
La solution
Par un Jugement en date du 5 décembre 2019, le Tribunal de Grande Instance (aujourd’hui Tribunal Judiciaire) décidait que le Docteur Y avait commis une faute dans le suivi post-opératoire de Madame X.
Le Tribunal soulignait également que pour que la responsabilité de ce praticien puisse être engagée, il devait exister un lien de causalité direct et certain entre sa faute et le préjudice subi par Madame X.
Or, cette Juridiction a rappelé qu’il n’était pas démontré que si une reprise chirurgicale avait été pratiquée plus précocement, elle aurait soulagé significativement et durablement les douleurs de Madame X.
Par conséquent, le Tribunal a décidé, au regard de l’absence d’efficacité de la reprise chirurgicale qui a été réalisée quelques années plus tard, qu’il ne pouvait être considéré que la faute du Docteur Y avait fait perdre une chance à Madame X de bénéficier de manière plus précoce des effets espérés d’une dépose du matériel.
C’est ainsi, que cette Juridiction a débouté cette patiente de l’ensemble des demandes qu’elle avait formulées à l’encontre du Docteur Y.
En conclusion
Par cette décision, le Tribunal est venu rappeler l’importance du respect des conditions nécessaires à l’engagement de la responsabilité d’un médecin.
En effet, cette décision souligne que le seul manquement d’un praticien à son obligation de délivrer des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science ne suffit pas à engager sa responsabilité civile.
Le patient est ainsi impérativement tenu de rapporter la preuve causale sans quoi il ne pourra prétendre à la réparation de son préjudice, ce qui a précisément été le cas dans cette décision.
Me Géraldine ZERDAB
Belloc Avocats