La médecine nucléaire entre dans une ère nouvelle avec l’avènement de la théranostique, une approche révolutionnaire qui combine diagnostic et traitement ciblé grâce à l’utilisation de radioligands.
L’ère de la théranostique
La théranostique connaît aujourd’hui une évolution rapide. Les avancées récentes, notamment l’utilisation des radioligands du PSMA (Prostate specific membrane antigen) pour le cancer de la prostate, ont considérablement amélioré les performances diagnostiques et thérapeutiques de la médecine nucléaire dans ce domaine. De plus, un réel dynamisme est enclenché pour explorer de nouvelles cibles. Ainsi, d’autres pathologies cancéreuses telles que les cancers du sein, les cancers digestifs et les cancers du poumon pourraient potentiellement être traités par théranostique.
Cette avancée prometteuse ouvre la voie à une médecine personnalisée et efficace, mais soulève également des questions sur les risques associés, l’expansion de cette pratique et les changements nécessaires dans la gestion des patients.
Le Dr Merlin, médecin spécialiste de l’imagerie moléculaire et de la médecine nucléaire au Centre Jean-Perrin à Clermont Ferrand répond à nos questions
Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionne la théranostique ?
La théranostique, est un néologisme et résulte de la fusion des termes diagnostic et thérapeutique.
De manière générale, l’approche théranostique repose sur des radioligands nécessaires pour identifier une cible hautement exprimée par la tumeur mais peu exprimée par les tissus sains.
Dans un premier temps, il s’agit de développer un ligand/vecteur (qui peut être un peptide ou un anticorps) se liant avec une haute affinité et grande spécificité à notre cible. Ce ligand va être chimiquement relié à un isotope radioactif que l’on choisira en fonction de l’objectif diagnostique ou thérapeutique. Du point de vue diagnostique, actuellement, la plupart des développements portent sur des traceurs permettant la réalisation d’une tomographie par émissions de positons couplée au scanner (TEP-TDM), examen qui permettra de vérifier l’expression de la cible par les cellules tumorales, de faire un bilan de l’extension tumorale et de quantifier l’expression de la cible.
Si cet examen est compatible avec l’administration du traitement, le patient se verra administrer dans un second temps le même ligand marqué avec un radionucléide à visée thérapeutique, émetteur bêta moins ou alpha. L’émission de ces particules entraînera à l’échelle cellulaire des cassures de l’ADN et ainsi une apoptose des cellules tumorales. Le parcours de ces particules étant de moins de 2 mm, les tissus sains sont au maximum préservés. [1],[2] Cette phase s’appelle la radiothérapie interne vectorisée.
Quels sont les risques associés à cette nouvelle pratique ?
Les risques associés à la Radiothérapie interne vectorisée (RIV) et à la théranostique sont connus depuis de nombreuses années par les médecins nucléaires experts en thérapie. Bien entendu, à chaque nouveau traitement sont associé de potentiels nouveaux effets indésirables, tels que la sécheresse buccale avec le traitement par Lu-PSMA. Les données de la littérature montrent que les patients ne souffrent avec ce traitement que de formes modérées de xérostomie dans la plupart des cas. On retrouve aussi les effets classiques des traitements anti-néoplasiques tels que nausées, vomissements ou troubles du transit.
Mais c’est finalement surtout la gestion de la toxicité hématologique potentielle et de ses conséquences qui va nécessiter une surveillance stricte du patient. Elles sont gérées globalement de la même manière qu’en oncologie avec parfois la nécessité d’avoir recours à des transfusions. La particularité de la situation vient du fait que rapidement de nombreux nouveaux médecins vont s’impliquer dans cette activité thérapeutique et la gestion de ses effets indésirables.
En France, combien d’hôpitaux pratiquent la théranostique ?
Une quarantaine de service ont actuellement une activité théranostique, essentiellement des centres hospitaliers et des centres de lutte contre le cancer. Le nombre de services impliqués va encore augmenter et des services de médecine nucléaire libéraux vont très rapidement se positionner sur cette activité et participer à sa diffusion.
Pour les services qui souhaitent se lancer dans la théranostique, quels sont les facteurs à prendre en compte ?
Il est nécessaire de prendre en compte des facteurs administratifs et réglementaires (grade d’autorisation par exemple), des exigences de radioprotection. Au-delà de la nécessité de renforcer les équipes, le développement rapide de la technique va nécessiter de bien coordonner les nombreux acteurs impliqués (radiopharmaciens, médecins, manipulateurs, infirmiers, physiciens notamment).
Ce besoin organisationnel incite les équipes ayant initié cette activité à créer de nouveaux métiers tel que les postes de manipulateurs de coordination. Enfin, comme le nombre de patients concernés est de plus en plus important, il est nécessaire d’adapter les locaux pour pouvoir les accueillir dans des conditions qualitatives.
Quels sont les changements pour la formation des médecins et des manipulateurs?
Les nouveaux médecins formés sont aujourd’hui directement impliqués dans cette technique durant leur cursus.
Du côté des manipulateurs, ils sont tous très motivés par l’accès à la théranostique, qui modifie le rapport aux patients comparativement à une activité de diagnostique exclusive. Ils accèdent dans les services à cette activité en suivant un parcours d’apprentissage et d’accréditation spécifique à chaque unité, s’appuyant notamment sur le compagnonnage. De manière évidente, cette activité prendra probablement à terme une part plus importante dans le cursus des élèves manipulateurs.
En quoi cette nouvelle pratique modifie la relation avec le patient ?
Le rapport avec le patient est immanquablement modifié lorsque l’on a un rôle de thérapeute et non plus exclusivement d’imageur.
De plus, cette relation est influencée par le fait que le patient sera vu de manière itérative par le médecin nucléaire pendant les 6 à 8 mois que peut durer le traitement. La prise en charge sera initiée par un temps d’explications du traitement, de son déroulement et du plan précis d’exécution. Aussi, des informations concernant les bénéfices potentiellement attendus, les effets indésirables potentiels et leur modalité de prise en charge seront également abordées avec le patient. Cette information précise sera tracée dans les différents comptes-rendus. Selon le même modèle que celui utilisé par nos collègues oncologues.
En conclusion, la médecine nucléaire, spécialité majoritairement orientée vers l’imagerie, connaît une évolution majeure avec un virage important vers la thérapie avec le développement de la théranostique. Celle-ci apparaît aussi comme une révolution dans la prise en charge contre le cancer.
Néanmoins, le nombre important de patients potentiellement concernés nécessitera l’implication de l’ensemble de la communauté de médecine nucléaire et fera évoluer le rôle des médecins nucléaires dans les années à venir. Avec déjà plus de 40 centres actuellement impliqués dans la réalisation de ces traitements, la médecine nucléaire française semble prête à relever le challenge de la théranostique pour proposer aux patients les prises en charge le plus innovantes.
Dr Charles Merlin, médecin nucléaire, Centre Jean Perrin, Clermont-Ferrand
[1] World J Nucl Med 2019 Jan-Mar; A tribute to Dr. Saul Hertz: The discovery of the medical uses of radioiodine Barbara Hertz
[2] Définition HAS –Guide méthodologique 2014