La levée de la Prescription Initiale Hospitalière (PIH) permet désormais aux dermatologues libéraux de prescrire certaines biothérapies. Cette réforme, effective depuis avril 2024, vise à fluidifier les soins en dermatologie, mais soulève des questions sur l’adaptation des praticiens, l’impact sur les consultations et la qualité des soins.
La pratique dermatologique se trouve à un moment charnière avec la levée de la PIH des biomédicaments utilisés dans certaines maladies inflammatoires chroniques. En août 2023, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) a initié une réflexion visant à élaborer des recommandations et des directives pour l’ajustement des pratiques de prescription et garantir une prise en charge médicale optimale et sécurisée pour les patients en dermatologie en permettant la primo prescription par les dermatologues libéraux. Les conclusions de cette réflexion étaient attendues avec impatience par les dermatologues. En effet, le Syndicat des Dermatologues s’est battu pour mettre fin à la PIH, arguant que les médecins hospitaliers n’ont pas nécessairement de qualifications particulières pour justifier cette exclusivité de prescription. Depuis le 17 avril 2024, l’ANSM a officiellement annoncé la possibilité pour les dermatologues d’initier certaines biothérapies en ville. Cette nouvelle disposition modifie la manière dont les dermatologues prescrivent et gèrent les traitements de certaines pathologies cutanées, telles que le psoriasis, la pelade, la dermatite atopique et le vitiligo [1].
La levée de la PIH pour les biothérapies dont les inhibiteurs de JAK entraîne des répercussions significatives, non seulement pour les dermatologues, mais aussi pour d’autres spécialistes tels que les ORL, les pneumologues, les allergologues, les rhumatologues et les gastro-entérologues, l’objectif principal étant de fluidifier le parcours de soins et d’éviter les blocages dans la prise en charge des patients.
Débats sur la levée de la PIH
Toutefois, des questions subsistent quant à la manière dont les dermatologues vont s’adapter à ce changement et aux implications pour leur pratique quotidienne.
De nombreux praticiens libéraux se montrent réticents, soulignant que les délais pour obtenir un rendez-vous en cabinet privé sont souvent comparables à ceux des hôpitaux. Et certains dermatologues libéraux craignent l’arrivée d’un plus grand nombre de patients présentant des pathologies sévères en ville, ce qui augmenterait les temps d’attente pour un rendez-vous.
Des dermatologues expriment également le besoin d’une formation complémentaire ou de garanties supplémentaires en matière de responsabilité civile professionnelle, tandis que d’autres pourraient être plus réceptifs à l’idée d’accompagner une patientèle plus diverse et de participer à une prise en charge plus précoce et efficace.
Impacts sur la pratique et la tarification
La levée de la PIH pourrait également remodeler la structure tarifaire des consultations dermatologiques. En effet, pour les praticiens libéraux, la levée de la PIH va entrainer un allongement du temps de consultation, mais une revalorisation tarifaire des consultations complexes avec la surveillance du bilan et les prescriptions de biothérapies est envisagée, ce qui offrirait une perspective intéressante. Cela pourrait représenter une opportunité tant intellectuelle que financière pour certains dermatologues, permettant de contrer la perte de rentabilité liée à l’augmentation du temps de consultation. Selon le docteur Schneider « Etant donné que les biothérapies pour les maladies dermatologiques sont sous-utilisées, des ressources budgétaires sont encore disponibles pour leur prise en charge. Cette réalité financière offre une certaine marge de manœuvre et une réserve budgétaire qui pourrait potentiellement être réaffectée dans le cadre d’une levée de la PIH. »
Maintenir la qualité des soins et assurer une pratique responsable
Bien que la levée de la PIH puisse apporter des changements à la pratique dermatologique, il demeure important de respecter les règles de prescription établies et les recommandations cliniques lors de la prescription. Par exemple, un bilan initial codifié est nécessaire pour évaluer la sévérité de la condition et déterminer le traitement le plus approprié. Il est aussi important de suivre les recommandations, telles que revoir le patient à intervalles réguliers pour évaluer l’efficacité et la tolérance du traitement (tous les 3 à 4 mois). En respectant les recommandations de la Société Française de Dermatologie, les professionnels de santé minimisent les risques de complications et assurent des résultats thérapeutiques optimaux pour leurs patients [2].
En conclusion, la levée de la PIH représente un nouveau chapitre dans l’évolution de la pratique dermatologique, avec des implications potentiellement majeures pour les professionnels de santé et les patients. Son impact exact reste à déterminer, mais il est clair que cela nécessitera une adaptation et une réflexion soignée de la part de tous les acteurs impliqués dans la prise en charge des maladies dermatologiques.
D’après un entretien avec le Dr Pierre Schneider, dermatologue à Paris
Sources :
[1]https://r.sib.sfdermato.org/mk/mr/sh/1t6AVsd2XFnIGDVfI6XG8LnU46zvov/dtsJYbFPekzb https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/actu/actualites/actus-medicaments/biotherapies-la-levee-de-la-prescription-initiale-hospitaliere-est-elle-un-moyen-de-lutte-contre-la-desertification-medicale.html
[2]Recommandations de la société française de dermatologie – https://www.sfdermato.org/page-24-recommandations