On ne choisit pas son responsable… Encore faut-il qu’il y en ait un ! 

Avocat avec un stylo à la main discutant avec un client

Rappelons que la responsabilité d’un praticien est une responsabilité personnelle, c’est-à-dire que le médecin ne répond que de ses actes ou des actes auxquels il a participé, voire collaboré. 

Mais qu’en est-il en cas de prise en charge successive ? 

Le praticien doit interroger le patient sur les soins donnés antérieurement à sa prise en charge, au besoin contacter son confrère, mais il est tout aussi important que le patient fournisse toutes les informations utiles, ce qui est souvent problématique. 

Le cas présenté par M° Véronique ESTEVE, Avocat spécialisé en droit de la santé, concerne la prise en charge d’une patiente en chirurgie maxillo-faciale par de multiples chirurgiens sur une période de 13 années. 

Les faits 

En 2008, une femme de 23 ans chute sur son lieu de travail et aurait présenté un traumatisme facial. Dans les suites, elle a présenté une hydrocéphalie ainsi que des douleurs de type syndrome algo fonctionnel de l’appareil mandicateur avec céphalées temporales bilatérales. 

En 2010, elle consulte le CHIR.n°1, spécialisé en chirurgie maxillo-faciale, qui constate son état séquellaire en lien avec son accident du travail et la dirige vers un neurochirurgien. Elle bénéficie d’une dérivation

En 2012, elle consulte un nouveau chirurgien maxillo-facial, le CHIR n°2. Face à la dysmorphose maxillo-mandibulaire présentée par la patiente, le CHIR n°2 lui propose une intervention de chirurgie orthognatique maxillaire et mandibulaire encadrée par un traitement orthodontique pour corriger les malocclusions dentaires. 

En 2013, le CHIR n°2 pratique une ostéotomie combinée avec ostéotomie d’avancée mandibulaire, et dérotation vers la droite du maxillaire et mentoplastie. Les suites sont simples. 

Deux mois plus tard, la patiente se plaint d’une gêne au niveau des plaques d’ostéosynthèse et d’un résultat esthétique jugé non satisfaisant. Le CHIR n°2 lui propose alors de réaliser une reprise chirurgicale pour ablation du matériel d’ostéosynthèse et symétrisation du visage, qui est réalisée. En suivi post op. il constate une bonne cicatrisation. Il la débague. Le résultat est satisfaisant, sauf que la patiente n’est toujours pas satisfaite… 

Lors d’une nouvelle consultation, le CHIR n°2, lui propose une rhinoseptoplastie qui ne sera pas réalisée. Elle revient le consulter deux mois plus tard pour se plaindre à présent de l’esthétique de son menton. 

En décembre 2013, le CHIR.n°2 pratique une nouvelle résection modelante du visage

En février 2014 elle revient, n’étant toujours pas satisfaite. Le CHIR.n°2 refuse tout nouveau geste et lui conseille de consulter un psychologue et d’attendre 6 mois avant de le revoir. 

La patiente retourne rapidement consulter le CHIR.n°1 qui note un bon résultat fonctionnel (plus de dysfonction de l’appareil mandicateur ni de céphalée) mais une insatisfaction sur un plan esthétique. N’étant pas enclin à la reprendre, il la dirige vers un nouveau praticien le CHIR.n°3.

Le CHIR n°2 quant à lui ne reverra plus la patiente jusqu’à … 

La procédure 

En 2017 la patiente assigne le CHIR.n°2 responsable selon elle de tous ses maux en lui attribuant entre autres un syndrome de nez vide. Elle se plaint de problèmes essentiellement fonctionnels. 

A l’occasion de cette procédure, on apprend – bien qu’elle ne soit pas très loquace – qu’elle a été réopérée ultérieurement. 

En 2018 un Expert spécialisé en stomatologie est désigné par le Tribunal au contradictoire du CHIR.n°2 et de la CPAM. 

Durant l’expertise, après interrogatoire de la patiente, en présence du CHIR.n°2 lors de l’examen clinique de la patiente, on découvre l’existence de multiples interventions postérieures à la prise en charge du CHIR.n°2, la patiente refusant de communiquer les pièces médicales y afférentes, hormis les CRO. On découvre l’existence de nouvelles interventions : 

  • Mai 2014 : ostéotomie maxillaire et rabotage du bord du menton par un CHIR.n°3
  • Janvier 2015 : ablation d’une vis d’ancrage orthodontique (CHIR.n°3) 
  • Avril 2015 : nouvelle prise en charge pour obstruction nasale persistante avec déviation septale antérieure associée à une synéchie inférieure. (CHIR.n°4) 
  • Octobre 2016 :  lipofilling de l’hémiface gauche par un nouveau praticien (CHIR.n°5) de l’aveu de la patiente 
  • Septembre 2017 : nouvelle intervention par un CHIR.n°6 : ostéotomie bi-maxillaire, ablation du matériel, pose d’un matériel de contention peropératoire, libération et décollement des muscles masticateurs et greffe osseuse de banque avec apposition au niveau du maxillaire
  • Mai 2018 : un CHIR.n°7 procède à l’ablation du matériel mandibulaire gauche, et avancée des apophyses géni et extraction de deux dents

Logiquement la patiente aurait dû appeler en cause tous les chirurgiens l’ayant prise en charge afin que l’Expert puisse procéder à une analyse globale de la prise en charge qui s’est étalée sur de nombreuses années, mais elle décide de se focaliser sur le CHIR.n°2. Devant le refus de la patiente de solliciter une extension de mission afin que tous les praticiens qui l’ont prise en charge puissent fournir des explications utiles, l’Expert – après avis du Juge – se cantonne à sa mission ciblée sur le CHIR.n°2… Il va sans dire que nous n’avions aucun intérêt à procéder à cette formalité en ses lieu et place. En effet il appartient au patient de démontrer un manquement imputable à celui qui est mis en cause. L’Expert a effectué sa mission et conclu à une prise en charge conforme aux règles de l’Art. 

Après le dépôt du rapport, le CHIR.n°2 avait estimé que ce rapport mettait fin à ses tracas, que nenni ! La patiente décide en effet de persister dans sa procédure à son encontre et sollicite du Tribunal une mesure de contre-expertise. Elle va alors imaginer de mettre en cause l’ONIAM espérant que l’Office demande au Tribunal l’instauration d’une nouvelle expertise, la précédente expertise n’ayant pas été réalisée à son contradictoire. L’ONIAM n’en fera rien, eu égard aux conclusions de l’Expert qui ne conclut pas à un accident médical, d’autant que l’Expert a conclu à l’absence de préjudice

Pour prospérer dans sa demande de contre-expertise, elle fait alors état d’une nouvelle intervention : en 2023, après le dépôt du rapport d’expertise, un nouveau chirurgien le CHIR.n°8 a procédé à une reprise d’ostéotomie bi-maxillaire, pose d’un matériel de contention peropératoire, ablation d’un matériel, libération et décollement des muscles masticateurs. Et tout de go la patiente abat son unique « atout » : un certificat établi par le CHIR n°8 relatant « une gêne respiratoire liée à un syndrome du nez vide consécutif à l’ablation des cornets lors de la première chirurgie ». 

Nous argumentons que le CHIR.n°2 n’a pas procédé à l’ablation des cornets lors de la première intervention, pas plus que lors des suivantes d’ailleurs ! En outre un scanner contemporain de la 2ème intervention concluait à la présence des cornets droit et gauche. Ainsi, le syndrome de nez vide, provenant d’ablation des cornets ne pouvait être imputé au CHIR.n°2. Nous avons bien évidemment refusé que le Tribunal ordonne une contre-expertise, eu égard à la stratégie adoptée par la patiente. 

En outre celle-ci se plaignait également de troubles sensitifs de la face à gauche. Force était de constater, eu égard à la « cascade » d’interventions survenue postérieurement – qu’il n’était pas apporté la preuve qu’ils provenaient de la prise en charge du CHIR.n°2. 

Enfin juridiquement nous avons rappelé que l’insatisfaction du résultat (très subjective au demeurant) ne saurait constituer une faute médicale, le praticien n’étant tenu qu’à une obligation de moyens. Or les clichés photographiques produits par le CHIR.n°2 démontraient qu’il avait obtenu un résultat très honorable. 

Nous avons donc plaidé que la patiente succombe à ses demandes. 

bannière RCP chirurgie maxillo faciale

Le Jugement

Le 30 janvier 2025 le Tribunal judicaire rappelle que la faute ne se déduit pas du dommage et que le praticien n’est responsable que pour faute prouvée

Selon le Tribunal, le rapport d’expertise ne souffre d’aucune insuffisance ou incohérence, l’Expert ayant accompli sa mission de façon contradictoire et répondu avec pertinence aux critiques formulées par le médecin Conseil de la patiente. 

Abondant totalement dans le sens de notre argumentation, le Tribunal a refusé d’ordonner une contre-expertise, au vu du seul certificat versé aux débats par la patiente. 

Le tribunal a jugé que le CHIR.n° 8 n’avait fait que constater un état pré-chirurgical en 2023 et ne pouvait attribuer cet état aux interventions pratiquées par le CHIR.n°2 en 2018, et ce, eu égard à toutes les interventions survenues postérieurement. 

Le conseil de Branchet pour une défense efficace  

  1. Avoir un dossier bien tenu relatant toutes les consultations, clichés, moulages, CRO détaillés, clichés pré-op et post-op 
  1. Importance d’assister à l’expertise  

Enfin que dire du certificat médical produit par la patiente devant le Tribunal ? C’est typiquement l’exemple de document à ne pas rédiger à partir du moment où il n’est pas que descriptif. En l’occurrence, ledit certificat a causé bien des désagréments au praticien concerné.   

M° Véronique ESTEVE 

Avocat au Barreau de NICE 

Spécialisée en droit de la Santé 

Cabinet ESTEVE-RUA 

Publié le 17 mars 2025