A la suite d’un entretien avec le Dr Vincent DEDES, ophtalmologiste et Président du Syndicat National des Ophtalmologistes de France (SNOF), nous explorerons dans cet article les différents aspects qui définissent l’exercice libéral de l’ophtalmologie d’un point de vue organisationnel et financier.
Quels sont les principaux modes d’exercice des ophtalmologistes libéraux aujourd’hui en France ?
95% des ophtalmologues libéraux travaillent dans des cabinets détenus à 100% par les médecins y travaillant. Les cabinets avec un seul ophtalmologiste représentent environ 35% des effectifs alors que les cabinets de groupe continuent de se développer : en 2021, les ophtalmologistes de moins de 40 ans ne sont plus que 13% à exercer en cabinet unipersonnel, contre 47% pour les 55-65 ans.
81% des ophtalmologistes exercent en travail aidé, c’est-à-dire en équipe pluriprofessionnelle avec des secrétaires, orthoptistes salariés ou libéraux, infirmiers, opticiens, assistants médicaux. Si le travail aidé est ainsi devenu la norme pour la majorité de la profession, ce n’est pas le cas pour les ophtalmologues exerçant seul. En effet, plus d’un médecin sur 2 qui exerce seul n’en n’a pas. On note également une différence importante en fonction de l’âge de l’ophtalmologue : les jeunes sont en effet plus enclins au travail aidé que leurs aînés (90% chez les moins de 40 ans, 85% chez les moins de 50 ans et 54% chez les plus de 60 ans (enquête 2021).
Source : Enquête du SNOF auprès de 1 579 ophtalmologistes, 2021, conférence de presse février 2022.
Pourquoi les ophtalmologues libéraux s’organisent ainsi ?
Le regroupement des ophtalmologues et le travail aidé ont contribué à améliorer l’organisation de l’activité et ainsi réduire les délais de RDV, tout en garantissant la qualité des soins pour les patients. Grace à ce modèle, la France présente le taux de prévalence (0,17%) de la malvoyance le plus bas des pays de l’OCDE, devant l’Allemagne et loin devant le Royaume-Uni.
Cette organisation facilite donc la continuité des soins, mais aussi l’embauche de personnel pour gérer les ressources humaines de l’équipe autour des médecins, la création de site secondaire à proximité des patients avec une présence médicale réelle (les médecins se déplaçant à tour de rôle pour assurer la continuité).
Le regroupement permet également d’amortir plus facilement les coûts d’installation liés à l’acquisition de matériels et des locaux.
Organisation en entreprise médicale vs CPTS ? ou COMELI ? ou Maison de Santé ?
En tant qu’ophtalmologue, la question est de savoir si vous êtes concernés par ces différents types d’organisation.
Il existe différents statuts d’exercices possibles pour les cabinets :
- Exercice simple en Bénéfices Non Commerciaux (BNC)
- Société d’exercice libéral unipersonnelle à responsabilité limitée (SELURL)
- Société d’exercice libéral par actions simplifiées unipersonnelle (SELASU)
- Société civile professionnelle (SCP)
- Société d’exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL)
- Société d’exercice libéral par actions simplifiée (SELAS)
- Société civile professionnelle (SCP)
- Société Civile de Moyens (SCM)
Les structures de type SEL (Société d’Exercice Libérale), détenues à 50% minimum par des associés exerçant la profession d’ophtalmologiste, sont en progression. Elles favorisent la mise en commun de moyens et facilitent l’association des médecins. En revanche, il n’y pas d’intérêt à s’orienter vers ce type d’organisation juridique sans projet clair de développement ou d’accueil de nouveaux associés et les montages à but uniquement fiscal sont à éviter car source de contentieux avec l’administration.
Des organisations pour faciliter la coordination et l’accès aux soins
Du fait de l’importance du matériel, des surfaces nécessaires à l’activité et du flux de patients, les maisons de santé sont peu adaptées à la pratique de l’ophtalmologie libérale.
Si les ophtalmologistes sont peu impliqués dans des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS), ils s’associent plus facilement dans des Équipes de Soins Spécialisés (ESS), plus adaptées à leurs pratiques. Dans ce cadre, l’ESS peut collaborer avec des CPTS en leur permettant d’accéder à une offre de spécialistes, mais aussi à faire remonter les besoins du territoire pour ajuster l’offre de services.
L’ESS permet également au médecin généraliste d’obtenir rapidement, et lorsque le médecin habituel du patient n’est pas disponible voire inexistant, un avis d’un ophtalmologue. Les contours précis de ces ESS sont encore en cours de négociation avec la CNAM.
Les contraintes et enjeux liés à l’organisation de cette activité
Toute entreprise médicale fait appel à certaines compétences : savoir travailler en équipe, réfléchir en amont au règlement intérieur afin d’anticiper les éventuelles divergences, gérer les ressources humaines. Selon la taille de l’entreprise, le recours à un administrateur ou manager de cabinet sera conseillé. L’enjeu sera alors de définir la taille critique de l’entreprise pouvant permettre d’intégrer ce profil. Les URPS proposent également des Groupements d’Employeurs : il s’agit d’une offre de différents services comme la gestion administrative, le recrutement et l’accompagnement à la formation, ou encore la gestion des paies et des contrats de travail.
Comme toute entreprise, l’entreprise médicale fait actuellement face à certains défis, notamment financiers : le manque de lisibilité des financements liés à la CNAM est un problème pour des organisations ayant beaucoup de personnels et d’investissements. Actuellement les spécialités ayant beaucoup investi (en ressources humaines et matériel) subissent plus lourdement l’inflation que les équipes restreintes sans travail aidé alors que les honoraires conventionnels sont, eux, bloqués depuis de nombreuses années.
L’influence des dépassements honoraires sur les décisions d’installation en entreprise médicale
Il est important de rappeler que la moyenne de dépassement des ophtalmologues pouvant les pratiquer est très modérée : 13€ selon la dernière étude « que choisir ». 2/3 des ophtalmologistes sont déjà dans un cadre réglementé de leur honoraires : secteur I, secteur II Optam. Tous les ophtalmologistes facturent régulièrement des tarifs opposables. Les charges sociales des médecins en secteur II sont également plus élevées. Un blocage des honoraires (2017 pour la NGAP, 2005 pour la CCAM) et le retour de l’inflation fragilisent l’équilibre financier des cabinets médicaux. Une revalorisation des honoraires est attendue par la profession, sans quoi, cela va devenir intenable pour les médecins en secteur I et engendrera une augmentation des tarifs pour les médecins en secteur II.
Les investissements seront également sûrement limités avec un recul de développement de l’organisation des cabinets au détriment de l’accès aux soins.
Les récentes décisions de radiation d’entreprise dans le secteur vétérinaire puis en radiologie risquent-elles d’impacter l’activité des ophtalmologues ?
Cette décision est liée au fait que des acteurs financiers ont le pouvoir sur certaines structures médicales. Cela passe souvent par des montages de type SELAS avec création d’action avec des droits différents (captation des bénéfices et des pouvoirs de gestion par une minorité d’actionnaires détenant des actions dites de préférence). Le Conseil de l’ordre a donc rappelé aux professionnels l’interdiction d’aliéner leur indépendance même si celle-ci a été achetée par des investisseurs financiers.
Cela impactera peu les ophtalmologistes car, pour l’instant, une grande majorité des cabinets sont détenus à 100% par des associés professionnels en exercice. Pour ceux qui ont rejoint des structures portées par des fonds d’investissements, il leur est possible d’interpeller le conseil de l’ordre pour avoir son avis sur leurs contrats (aucune clause de confidentialité ne peut être opposée à l’ordre) afin d’éviter les déboires des cabinets radiés. Le conseil de l’ordre s’attend d’ailleurs à une augmentation des sollicitations pour avis sur le contrat.