Alors que depuis une dizaine d’années, les cours d’appel avaient tendance à retenir systématiquement la responsabilité unique du chirurgien en cas d’oubli de compresse, un vent d’espoir souffle depuis l’Alsace sur le chef d’orchestre du bloc-opératoire. Malgré la mise en place de protocoles renforcés, avec l’instauration de la check- list rendue obligatoire par la Haute Autorité de Santé depuis 2010, les oublis de compresse demeurent toujours source de déclarations de sinistres des chirurgiens exerçant à titre libéral.
Une décision de la Cour d’appel de Colmar du 21 octobre 2022 obtenue par notre Cabinet permet de croire à nouveau à la reconnaissance d’un partage de responsabilité entre l’établissement de soins, employeur de l’aide-opératoire, et le chirurgien.
Les faits
Un patient âgé de 50 ans avait présenté une appendicite aigüe abcédée ainsi qu’une péritonite généralisée. Lors de cette intervention, réalisée par un chirurgien défendu par notre Cabinet, la case « oui » pour le « compte final correct des compresses » de la check-list avait été cochée.
Quatre années plus tard, le patient ayant ressenti d’intenses douleurs hypogastriques, la réalisation d’un scanner abdomino-pelvien a mis en évidence la présence d’un textilome en fosse iliaque droite. Le patient a été placé sous antibiotique et le chirurgien en charge du patient à ce moment-là, a considéré que l’ablation du textilome ne pouvait se faire en urgence, dans l’attente d’un état cardiologique et septique stable.
Lors de la réalisation d’une échographie trans-oesophagienne, une semaine après la mise en évidence du textilome, le patient a présenté une bradycardie et une désaturation avec arrêt cardio-respiratoire, dont l’évolution a été favorable. L’ablation du textilome a été programmée une dizaine de jours après mais la veille de l’intervention prévue, le patient a présenté un arrêt cardio-respiratoire et est décédé 15 jours plus tard malgré le retrait de la compresse.
La famille du patient décédé a alors saisi le Tribunal Judicaire aux fins d’obtenir une expertise médicale au contradictoire du chirurgien qui avait oublié la compresse lors de l’appendicectomie, de la Clinique et du chirurgien ayant pris en charge le patient lors de la découverte de la compresse.
Notre argumentaire
La défense du chirurgien ayant oublié la compresse nous a conduit à soutenir qu’à la lecture des conclusions expertales et de l’important état antérieur du patient, seule une perte de chance de 50% pouvait être reconnue entre la présence d’une compresse dans la fosse iliaque et le décès du patient ; le lien de causalité entre la collection présente à l’imagerie et la décompensation cardiaque par endocardique infectieuse sur foyer infectieux n’étant pas établi de façon directe et certaine.
Les premiers juges puis la Cour d’appel ont entériné notre raisonnement en reconnaissant que seule une perte de chance de 50% d’éviter le décès devait être imputable : et que celle-ci devait être répartie à hauteur de 45% pour le chirurgien qui avait oublié la compresse, pour 45% à la Clinique employeur de l’aide-opératoire qui avait effectué un compte erroné des compresses et pour 10% au chirurgien qui a tardé à retirer la compresse.
Notre argumentaire s’appuyait notamment sur l’article R.4311-11 du Code de la santé publique disposant que « l’infirmier ou l’infirmière titulaire du diplôme d’Etat de bloc opératoire ou en cours de formation préparant à ce diplôme, exerce en priorité les activités suivantes :
1° Gestion des risques liés à l’activité et à l’environnement opératoire ; (…)
4° Traçabilité des activités au bloc opératoire et en secteurs associés (…) »,
Ainsi, la Cour d’appel de Colmar a considéré que : « s’il est de la responsabilité du chirurgien de vérifier l’absence de compresses laissées en place dans la cavité abdominale, l’Expert observe que celui-ci peut être induit en erreur par des difficultés opératoires, mais aussi par la fausse information de l’infirmière circulante qui lui signale que le compte de compresses est correct. En effet, l’Expert souligne que, même s’il a autorité sur l’infirmière de bloc opératoire mise à sa disposition par la clinique, le chirurgien ne peut sortir de la zone stérile dans la mesure où il doit attendre le résultat de ce décompte pour refermer la plaie opératoire».
Les enseignements de l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar du 21 octobre 2022
L’avis de l’Expert est bien évidemment primordial
Fort heureusement, les experts – tenant compte de leur propre expérience d’opérateur – sont contrairement aux juridictions civiles, bien volontiers enclin à admettre un partage de responsabilité entre le chirurgien et l’aide-opératoire salariée de l’établissement de soins.
L’existence d’une check-list remplie et co-signée montrant un compte de compresse manifestement erroné
A cet égard, dans notre espèce, la Cour d’appel a indiqué que la présence au dossier de cette check-list tend à établir une compétence autonome du pouvoir de l’infirmière dans les opérations de vérification relatives aux compresses utilisées, ce qui n’est guère compatible avec la qualité de commettant occasionnel du chirurgien, le temps de l’intervention.
La Clinique n’a donc pas cessé d’être le commettant de l’infirmière lors de la mission spécifique consistant à confirmer oralement l’exactitude du compte final des compresses.
Autres problématiques en matière d’oubli de compresse
La défense d’autres dossiers concernant un oubli de compresse nous amène à pouvoir dire que, en raisonnant par analogie, notre Cabinet avait pu obtenir devant les juridictions lyonnaises un partage de responsabilité entre le chirurgien et la Clinique lors d’un oubli d’instrument.
La reconnaissance d’un partage de responsabilité entre un chirurgien et la Clinique s’agissant d’un oubli de compresse est donc possible mais encore plus difficile lorsqu’il s’agit d’un champ opératoire.
Le type d’intervention est à prendre en compte. Dans une autre affaire, un expert a retenu une responsabilité majorée pour le chirurgien, à savoir de 75%, en considérant que l’acte litigieux à l’origine de l’oubli de compresse était selon lui anodin, ayant entrainé peu de saignement, avec une petite cicatrice et une petite profondeur de champ opératoire. En l’espèce, il s’agissait d’une intervention consistant en l’éveinage de la grande saphène.
L’oubli d’un textilome lors d’une intervention chirurgicale hémorragique est à différencier de l’oubli d’une « souris » (ensemble de compresses roulées utilisées pour éviter à l’opérateur d’être gêné par le sang) à la suite d’un accouchement par voie basse avec extraction instrumentale et réalisation d’une épisiotomie. Il n’y avait pas au dossier de check-list étant donné qu’il ne s’agissait pas d’une intervention chirurgicale. Il a été considéré que l’oubli en soi, à la suite de l’épisiotomie, était de la responsabilité du gynécologue-obstétricien. Mais dans cette affaire, le Tribunal a également retenu la responsabilité de la Clinique, considérant que la sage-femme qui avait tardé à appeler le gynécologue-obstétricien, avait empêché ce dernier de pouvoir décider d’une césarienne, ce qui aurait permis d’éviter l’épisiotomie. Un autre praticien qui n’avait pas procédé à un examen vaginal avant d’autoriser la sortie a aussi été désigné co-responsable d’une perte de chance d’éviter la survenue d’un granulome.
En revanche, si une compresse a été volontairement posée avec un ballonnet de Bakri pour stopper une hémorragie de la délivrance et que la parturiente a ensuite été transférée en urgence dans un autre établissement, la responsabilité de ce dernier – dont les équipes n’ont pas procédé à un examen vaginal attentif qui aurait permis de détecter la compresse – pourrait voir sa responsabilité engagée.
L’ensemble de ces constatations permet de rappeler que l’existence au dossier d’une check list bien conduite permet de faire reconnaitre que le chirurgien ne doit pas être le seul à endosser la responsabilité de l’oubli d’une compresse.
Maître Maryne Oeuvrard
BELLOC AVOCATS