Les faits
L’année dernière, suite à une opération chirurgicale visant à traiter une artérite fémoropoplitée, un patient subit un arrêt cardiaque après l’injection réalisée par l’anesthésiste. Des manœuvres de réanimation ont permis de récupérer l’arrêt cardiaque, mais on constate alors une défaillance multiviscérale (insuffisance cardiaque aigue, insuffisance rénale, insuffisance respiratoire probablement liée à une infection pulmonaire, une hémiplégie complète gauche et enfin une pancréatite aigüe). Le patient décèdera au bout de deux mois après une mise en coma artificielle. La famille du patient soupçonne une faute médicale et s’interroge sur les délais et les conditions pour engager des poursuites légales.
L’action en responsabilité civile médicale
En cas de sinistre résultant d’une faute d’un praticien, le patient (ou ses ayants droits en cas de décès) dispose(nt) de 10 ans à compter de la consolidation du dommage pour intenter une action en justice en vue d’obtenir une indemnisation. Si le sinistre survient alors que le patient est mineur, le délai de prescription de 10 ans court à compter de la majorité du patient (18 ans + 10 ans de prescription).
⚖️ Dans la situation exposée, il n’existe aucune barrière pour engager la responsabilité civile médicale du praticien devant le tribunal.
La voie amiable comme alternative
Notons qu’une procédure amiable peut être également engagée devant les Commissions de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) afin d’obtenir réparation du préjudice. La voie amiable est une alternative à l’action judiciaire et vise à accélérer le processus d’indemnisation et à désengorger les tribunaux. Instaurée par la loi du 4 mars 2002, cette procédure permet de solliciter une indemnisation en cas d’accidents médicaux, d’affections iatrogènes ou d’infections nosocomiales. Cependant, il faut noter que cette procédure n’est ouverte que lorsque le dommage est d’une certaine gravité. La voie amiable prévoit le dépôt d’un dossier dont certains critères doivent être remplis pour que ce dernier soit accepté :
- Taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique (AIPP) supérieur à 24 %. Il s’agit de mesurer l’impact permanent de l’incident sur la santé et le bien-être du patient. Si le taux d’AIPP dépasse 24% le dossier peut être éligible.
- Arrêt temporaire des activités professionnelles (ATAP) pendant au moins 6 mois consécutifs (ou 6 mois non consécutifs sur une période de 12 mois) ; Pour les mineurs, les retraités et sans emplois, ce critère ne s’applique pas. La rédaction du texte prévoit en effet un critère avec deux options : soit un arrêt de travail de 6 mois (consécutif ou non), soit des gênes temporaires constitutives d’un DFT supérieur ou égale à 50% durant 6 mois consécutifs ou non (cf. point ci-dessous). Ce sont donc les « Gênes temporaires » qui seront retenues pour les mineurs, les retraités et sans emplois.
- Gênes temporaires constitutives d’un déficit fonctionnel temporaire (DFT) supérieur ou égal à un taux de 50 % pendant au moins 6 mois consécutifs (ou 6 mois non consécutifs sur une période de 12 mois) : Ce critère est retenu si le patient a subi des gênes temporaires importantes qui ont affecté son fonctionnement quotidien.
- À titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer son activité professionnelle ou lorsque ses conditions d’existence s’en trouvent gravement troublées.
Si l’un de ces critères est rempli, le dossier pourra passer devant la commission territorialement compétente qui instruira le dossier sous 6 mois afin de rendre un avis désignant les responsabilités de chacun (praticien et/ou établissement, éventuellement aléa thérapeutique et donc solidarité nationale).
💡 Le délai de prescription pour agir est le même que pour toute action en responsabilité civile médicale (cf. point précédent). Dans l’exemple donné, la voie amiable peut être privilégiée par la famille du patient décédé puisqu’elle permet une résolution plus rapide du litige sans avoir à engager une procédure judiciaire. Cette procédure est d’ailleurs de plus en plus utilisée car elle présente l’avantage d’être gratuite. Elle permet au praticien de fournir des explications, de présenter des solutions et de parvenir à un accord mutuel. Cette procédure est également moins stigmatisante pour le médecin.
Quelle couverture en cas de faute professionnelle ?
Si le médecin a effectivement commis une faute professionnelle, par exemple, si l’hémiplégie du patient est due à une faute du médecin qui a effectué une mauvaise manœuvre et a piqué la carotide au lieu de la jugulaire, dans ce cas, est-ce que l’assurance continue à couvrir le médecin ?
Oui. L’assurance RCP vise à indemniser les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile de l’assuré à l’occasion de l’exercice légal de sa profession en raison des dommages corporels, matériels et immatériels consécutifs subis par des tiers survenant dans le cadre des activités de prévention, de diagnostic et de soins.
En d’autres termes, si le praticien a agi dans le cadre de l’exercice légal de sa profession (c’est-à-dire lorsque l’acte litigieux a été réalisé en conformité avec les diplômes et la formation du praticien), alors la faute sera couverte par son assureur.
Pour se protéger dans le cadre de potentielles poursuites, il est important pour le médecin de prendre certaines mesures préventives.
Voici quelques recommandations pour se protéger :
- Avoir une communication claire et efficace avec son patient : Communiquer ouvertement et avec transparence est primordial. Avant une intervention, le médecin doit expliquer les procédures et les risques de manière compréhensible. Cette communication, permet aussi au patient de poser des questions sur ses préoccupations. Une communication dans les deux sens est alors favorisée et permet au patient d’être impliqué dans sa propre prise en charge.
- Tenir le dossier médical du patient de la manière la plus complète et précise possible : Avoir un dossier médical complet, contenant les informations détaillées sur les évaluations, les diagnostics, les traitements, les échanges avec le patient et les consentements éclairés peut servir de preuve lors de litiges et démontrer que la pratique médicale était bien appropriée.
- Échanger les informations et communiquer avec son équipe médicale : Cela permet d’assurer des soins de qualité, de se coordonner avec les autres professionnels concernés et de réduire les risques de faute médicale.
- Souscrire à une assurance responsabilité civile professionnelle (RCP) : Au-delà du fait qu’elle soit obligatoire pour tous les praticiens exerçant en libéral, cette assurance est indispensable car elle offre une protection en cas de réclamations amiables ou lors de poursuites judiciaires. Dans le scénario évoqué, si la famille porte plainte, la RCP du médecin interviendra pour le défendre. Elle offre aussi une protection financière en cas de réclamations ou de poursuites civiles pour faute médicale portées à l’encontre du médecin. Cette RCP prendra en effet en charge non seulement les frais de défense juridique (comme les honoraire des avocats, des experts, etc.) mais aussi l’indemnisation de la victime et le remboursement des caisses de sécurité sociale le cas échéant.
Enfin, l’assureur peut proposer au patient, à son représentant légal, ou en cas de décès, à ses ayants droit, une transaction amiable pour régler le litige en dehors des tribunaux et éviter ainsi une procédure judiciaire longue et coûteuse.
💡 Le contrat RCP Branchet n’a pas vocation à indemniser les pertes de revenus d’autant plus lorsqu’elles sont liées à une suspension de l’autorisation d’exercice prononcée par une juridiction ou par l’Ordre des médecins. Il ne couvre pas non plus les amendes pénales dont le paiement est obligatoirement personnel.
D’après un entretien avec le Dr Marcadet et la participation du service juridique Branchet
Publié le 3 janvier 2024