Prise en charge ophtalmologique : Retard de diagnostic et perte de chance

Le chirurgien ophtalmologiste n’échappe pas à la règle avec une sinistralité annuelle d’environ 5 % notamment pour les chirurgies de la cataracte. Il faut conserver à l’esprit que les préjudices peuvent être significatifs en l’état des séquelles conservées par le patient. Les chirurgiens ophtalmologistes sont confrontés – comme leurs confrères d’autres spécialités – à la preuve de la délivrance de l’information.

Ils sont en outre responsables de leurs actes de soins tout au long du processus de prise en charge d’une pathologie, de la 1ère consultation préopératoire à la fin du suivi postopératoire (que ce soit pour trabéculectomie, chirurgie de la cornée, greffe, vitrectomie, etc.). En ce sens, se pose la question de la validité du diagnostic qui est essentielle pour toute prise en charge ultérieure du patient.

Ce dossier présente un intérêt non négligeable, mettant en cause des libéraux et des hospitaliers qui ont tenté de poser un diagnostic. Ils ont fini par y parvenir, mais trop tard !

Dans ce cas, quid du retard de diagnostic sur un plan médico-légal ?

C’est là que la notion de perte de chance entre en scène.

Dans cette affaire, Me Nicolas RUA, défendait le Dr B, consulté par le patient en seconde intention.

Sur les circonstances de la prise en charge de M. X

En mars 2006, M. X âgé de 43 ans, a présenté brutalement une baisse d’acuité visuelle de son œil droit.

Du 15 au 19 mars 2006 il était hospitalisé dans un centre Hospitalier pour un bilan étiologique (IRM cérébrale et orbitaire, IRM angiographique des artères rénales, bilan d’hypertension). La seule piste diagnostique retrouvée était une hypertension artérielle prise en charge en service de cardiologie.

À sa sortie de l’hôpital, le 23 mai 2006, M. X consultait un 1er chirurgien ophtalmologue (Dr A) en raison de la persistance d’un champ visuel altéré avec œdème papillaire bilatéral, nécessitant un traitement médical préalable.

Il était ré-hospitalisé du 24 au 26 mai 2006 pour mise en place d’une corticothérapie. À sa sortie, le patient restait inquiet (persistance de son état au niveau de l’œil droit et apparition du même voile à gauche).

Il consultait à nouveau le Dr A qui le dirigeait alors pour avis vers son confrère, le Dr B spécialisé en rétinologie.

Le 13 juin 2006, le Dr B, dès le 1er examen du patient, préconisait un retour en hospitalisation immédiate en service de cardiologie et d’ophtalmologie du même centre hospitalier pour traitement par corticothérapie, vasodilatateur et anti-hypertensif.

Le 19 juin 2006, il était transféré dans un autre hôpital pour divers examens (nouvelle IRM cérébrale et orbitaire), et ponction lombaire le 11 août, objectivant une hypertension intracrânienne aiguë.

Le 12 août 2006, M. X était admis en service de neurochirurgie pour une dérivation ventriculo-péritonéale pratiquée le 14 août 2006.

Les suites étaient hélas marquées par une quasi-cécité de l’œil droit et une malvoyance profonde de l’œil gauche.

Sur la procédure

En 2014, M.X a saisi le juge des référés d’une demande d’expertise au contradictoire des seuls Dr A et Dr B. Il faut savoir que le Conseil du patient s’est toujours refusé à mettre en cause les hôpitaux.

Le Juge des référés du Tribunal Judiciaire de Nice a désigné un Expert spécialisé en ophtalmologie.

Les conclusions de l’Expert

Selon l’Expert la cause de la pathologie ne pouvait être inflammatoire, mais résultait d’une hyper-tension intracrânienne.

Certes, le diagnostic peut paraitre évident a posteriori, « après le drame », toutefois lors de la prise en charge, le diagnostic était particulièrement complexe, en dépit de la compétence des praticiens.

L’Expert a estimé que les deux praticiens n’auraient pas dû se focaliser sur une cause inflammatoire compte tenu de l’échec de la corticothérapie et de l’aggravation de l’état visuel de M. X. Ils auraient dû envisager d’autres pistes et approfondir le bilan étiologique.

L’Expert a retenu un retard de diagnostic et de prise en charge.

L’Expert a fait application du principe de perte de chance qu’il a empiriquement fixé à 50 % des préjudices imputables. Ce retard a été imputé dans des proportions égales au Dr A et au Dr B (50 % – 50 %).

  • Néanmoins, l’Expert a également retenu un retard à la réalisation de la ponction lombaire et en a en attribué la responsabilité au centre hospitalier (qui n’était pas dans la cause). Ce retard a également entrainé une perte de chance de 50%.

Au total, l’Expert a retenu une perte de chance de 100 % d’éviter les séquelles conservées par M X. Ce qui est complètement illogique, une perte de chance ne pouvant ouvrir droit qu’à une indemnisation partielle des préjudices, et non totale !

Sur la foi de ce rapport, M.X a assigné le Dr B et le Dr A devant le Tribunal judiciaire de Nice en indemnisation de ses préjudices.

Notre argumentation devant le Tribunal 

Nous avons sollicité une contre-expertise, qui a été refusée par le Tribunal. Nous avons également opposé l’absence de retard fautif du Dr B compte tenu de la complexité du diagnostic, de la rareté de la pathologie survenue (1 à 2 / 100.000 cas selon l’Expert !) outre la symptomatologie atypique du patient (IRM ne montrant pas d’hypertension intracrânienne).

Ainsi, la suspicion de pathologie vasculaire ou inflammatoire retenue par le Dr B était au moment des faits parfaitement plausible. Rappelons que l’erreur de diagnostic n’est pas forcément fautive quand le diagnostic est difficile.

Enfin les deux praticiens encourant une responsabilité à titre personnel, il ne paraissait pas légitime que leur responsabilité soit partagée à parts égales, et ce, au regard de la prise en charge ponctuelle (une seule consultation) du Dr B.

De notre point de vue, la responsabilité du Dr B ne pouvait courir sur la période incriminée par l’Expert (point de départ du retard : 29 mai 2006 sachant que la consultation du Dr B avait eu lieu le 13 juin 2006), alors même que le Dr A avait examiné le patient à trois reprises en consultation avant le 13 juin et paraissait comme étant le praticien référent.

Notre objectif était ainsi de minorer la part de responsabilité du Dr B.

Jugement du Tribunal judiciaire de Nice

Le Tribunal a retenu la responsabilité des deux praticiens libéraux mis en cause.

En revanche, le Tribunal a jugé notre argumentation pertinente et a revu la répartition des responsabilités, considérant que le retard imputable au Dr B courait sur une période beaucoup plus courte (3 jours) que celle imputable au Dr A (sur près de 19 jours).

Dans ces conditions, le Tribunal s’est éloigné de l’avis de l’Expert et a décidé de limiter la part de responsabilité du Dr B à 15 % d’une perte de chance de 50 %, les 85 % restants étant mis à la charge de l’Assureur du Dr A.

Au final, notre défense a permis de réduire drastiquement la charge indemnitaire du Dr B.

Conclusion

Cette affaire montre que, si le rapport d’expertise reste une pièce maîtresse dans une analyse médico-légale, le Tribunal demeure souverain dans son appréciation des responsabilités et ne se comporte pas comme une chambre d’enregistrement du rapport d’expertise.

La répartition des responsabilités de chaque chirurgien ophtalmologiste était particulièrement contestable et contestée devant le Tribunal qui a rétabli un certain équilibre traduisant la réalité des prises en charge respectives. Ainsi chaque praticien répond personnellement de son propre diagnostic.

(À noter : si le patient veut être indemnisé des 50 % restants, il devra se décider à poursuivre l’hôpital devant le Tribunal administratif. Mais cette juridiction sera-t-elle aussi encline à accepter une perte de chance calculée par l’Expert de façon erronée ? Pas certain, et pour cause !)


                                                                                                                      Me Nicolas RUA

                                                                                                                      Avocat associé

CABINET ESTÈVE-RUA