En 2002, Mme H., 56 ans, se fait opérer d’une adhésiolyse sous cœlioscopie pour des troubles urinaires.
Malheureusement, cette intervention se complique d’une plaie intestinale à l’origine d’une péritonite. A ce jour, la patiente est toujours porteuse d’une colostomie iliaque gauche et d’une éventration, sans compter la décompensation psychiatrique qui accompagne ses séquelles physiques. Les troubles urinaires qui avaient motivé l’intervention chirurgicale initiale persistent.
Sans grande surprise, la patiente intente une action judiciaire…
Procès 1 : un aller simple ?
Le premier Expert désigné retient un retard de prise en charge de la complication de 48h. Il reproche au praticien d’avoir négligé une hypotension en salle de réveil, des douleurs abdominales « inhabituelles », une hyperthermie à 38,8°, et des ballonnements sans reprise du transit (le premier soir…), mais en l’absence de défense abdominale et de polynucléose. La perte de chance induite par ces manquements n’est pas évaluée par l’Expert. Toutefois, le Juge du fond saisi dans les suites aux fins d’indemnisation l’évalue à 25 % dans son jugement du 19 novembre 2009. Il condamne le praticien et son assureur à régler un quart des préjudices de la patiente (25.000 euros) et un quart de la créance de la sécurité sociale (50.000 euros).
La patiente interjette appel de ce jugement. Elle estime la perte de chance attribuée et l’indemnisation trop faibles.
Bonne surprise, la Cour d’Appel reprend l’ensemble de nos arguments. Elle estime que le retard de diagnostic n’est pas fautif et que « à la rigueur » seul un défaut d’information peut être reproché au praticien. L’intervention est considérée comme indispensable et non fautive. Ce défaut d’information est « simplement » générateur d’un préjudice moral d’impréparation évalué à 25 000 euros. Et la CPAM se voit déboutée de sa demande de remboursement du montant de sa créance !
Cet excellent arrêt de la Cour d’appel, daté du 23 février 2011 devient définitif à l’expiration d’un délai de pourvoi en cassation de 2 mois à compter de sa notification, qu’aucune des parties n’a formé. Pour la justice le praticien a mal informé mais n’a donc pas chirurgicalement fauté.
Tout est bien qui finit ….
Procès 2 : le retour !
Las et contre toute attente, nous apprenons que Mme H. a changé d’avocat. Elle tente une nouvelle action en justice qui prospère ! En effet, profitant d’une aggravation de ses séquelles, elle assigne l’ONIAM arguant de la survenue d’un aléa thérapeutique afin d’obtenir la mise en œuvre d’une nouvelle expertise.
Un second Expert est mandaté par le Tribunal pour évaluer les seuls préjudices mais pas de revenir sur la qualité de la prise en charge dont a bénéficié la patiente puisque la responsabilité avait déjà été tranchée par la Justice. Mais Mme H. assigne à nouveau son chirurgien !
La cascade infernale ?
Ce dernier ne transmet pas l’acte d’huissier à son assureur. Funeste erreur ! Il ne peut donc être défendu par un avocat, lequel n’aurait pas manqué de faire valoir l’existence des procédures initiales et donc l’autorité de la chose jugée. Dès lors, le Juge des référés aurait (très probablement) refusé la mise en œuvre de cette nouvelle expertise.
De sorte que, par successions d’omissions de la partie adverse, le Tribunal étend les opérations d’expertise au chirurgien, non comparant. L’Expert mandaté (peu confraternel…), malgré les restrictions de sa mission s’autorise une complète remise en cause de la prise en charge chirurgicale. Il reproche :
- d’abord une indication opératoire non conforme aux recommandations de prudence des règles de l’art. Il estime l’intervention injustifiée au regard des faibles troubles urinaires dont se plaignait la patiente
- également un retard particulièrement délétère de prise en charge de la péritonite
Finalement, selon cet Expert, c’est 100 % des préjudices de la patiente qui doivent être indemnisés par l’assureur du praticien qui est cette fois responsable et médicalement fautif.
Des conséquences financières majeures
C’est dans ces conditions que le nouvel avocat de la patiente saisit le Juge du fond arguant :
- D’un fait nouveau, constitué par le 2ème rapport d’expertise ; il fait donc valoir que cette nouvelle action est différente de celle ayant donné lieu à l’arrêt du 23 février 2011 en ce que l’action initiale portait sur les conséquences dommageables d’une faute post-opératoire alors que le rapport d’expertise du 2ème Expert retenait une faute préopératoire
- Des imprécisions du dispositif de l’arrêt de la Cour d’Appel du 23 février 2011 ; ce dernier permettaient de considérer que les Magistrats n’ont finalement jamais eu à statuer sur l’indication opératoire ou le retard de diagnostic, mais uniquement sur le devoir d’information puisque les demandes initiales ne portaient que sur ce point litigieux (remettant indirectement en cause la stratégie de son prédécesseur)
On joue sur les mots, pensez-vous ?
Bien rôdé aux barèmes d’indemnisation des préjudices corporels, cet avocat demande près de 800 000 euros au titre de l’indemnisation des préjudices de la patiente et, par ricochet, de son époux. La CPAM en profite pour demander le remboursement de ses débours, soit près de 1,9 millions d’euros.
L’enjeu du litige est donc de 2,7 millions d’euros. La solution dépend exclusivement de l’interprétation par les Magistrats du second rapport d’expertise (accablant pour notre chirurgien), mais surtout de la façon dont les premiers Juges ont rédigé leur jugement et arrêt et le dispositif de ce dernier. Une question de PROCÉDURE !
(Pour mémoire, le dispositif d’une décision de justice désigne la solution du litige et s’impose aux parties. Il se trouve dans la dernière partie d’un jugement, juste après la locution « PAR CES MOTIFS ». Seul le dispositif d’un jugement ou d’un arrêt se trouve revêtu de l’autorité de la chose jugée. Et l’autorité de la chose jugée est un principe d’immutabilité interdisant de remettre en cause ce qui a été définitivement jugé.)
Le dénouement
La solution n’est pas médicale. Il faut s’appuyer sur la procédure pour démontrer que :
- Le rapport du second Expert ne constitue pas un fait nouveau
- La décision du 23 février 2011, malgré les imprécisions du dispositif, a acquis autorité de la chose jugée. Elle ne peut être remise en cause
Le débat juridique est intense et pointilleux, la procédure pouvant être affaire d’interprétation. Finalement notre analyse nous permet d’obtenir en cause d’appel le débouté de l’intégralité des demandes de la patiente !
C’est la procédure, correctement interprétée et exposée qui a permis à notre praticien d’éviter une condamnation injustifiée juridiquement.
Cette affaire nous enseigne deux choses :
- La nécessité pour le praticien de transmettre sans délai les actes de procédure à son assureur, permettant à l’avocat de se constituer et de faire valoir une défense efficace
- La procédure trouve toute sa place dans le droit de la responsabilité médicale. Bien comprise elle peut sauvegarder les intérêts du praticien, comme ici où il évite une condamnation pécuniaire élevée
Marie BELLOC
Avocat spécialiste en droit de la santé