En matière d’infection nosocomiale (désormais dénommée « associées aux soins »), la règle de droit a évolué. Pour rappel, avant le 5 septembre 2001, l’Établissement de santé et le chirurgien étaient solidairement responsables des conséquences des infections nosocomiales au titre d’une obligation de sécurité de résultat dont ils ne pouvaient se libérer qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère. La responsabilité était présumée.
Depuis l’avènement de la loi du 4 mars 2002, seuls les établissements de santé sont responsables des conséquences des infections associées aux soins. La responsabilité du praticien peut toutefois être recherchée en cas de manquement dans la prise en charge du patient (ex : défaut d’antibioprophylaxie) et de l’infection (ex : retard de traitement).
En cas de pluralité de prise en charge du patient par plusieurs établissements, la Cour de Cassation a posé un principe depuis un arrêt du 17 juin 2010, selon lequel il appartient à chacun de ceux dont la responsabilité est recherchée, d’établir la preuve qu’il n’est pas à l’origine de l’infection litigieuse. En cas de pluralité d’infections, il convient de déterminer si l’on est en présence d’infections successives distinctes ou pas, et distinguer leur imputabilité.
Ceci méritait d’être précisé avant d’aborder la chronologie de la prise en charge d’un patient et ses conséquences sur un plan médico-légal. Le cas nous est rapporté par M° Véronique ESTÈVE à la défense du chirurgien.
Un patient, après avoir bénéficié d’une prothèse de hanche, va rencontrer diverses complications et être suivi pour une infection nosocomiale. Il va solliciter une indemnisation à l’encontre de l’un des chirurgiens et de la clinique dans laquelle il a été opéré, sauf qu’il n’a pas été opéré qu’une fois et qu’il a été pris en charge dans des Établissements différents – publics et privés. Les choix procéduraux sont souvent difficiles à faire pour un Avocat. La prise en charge chirurgicale ayant été complexe, le Conseil du patient va s’acharner à vouloir démontrer un manquement d’un chirurgien.
Pour le Conseil du patient, quoi qu’il en soit, l’affaire est entendue : existence d’une infection associée aux soins. Aux soins oui, mais lesquels ?…
L’histoire médicale
Précisons que nous défendions exclusivement le Dr B.
Un patient âgé de 48 ans souffrant de diabète et de surcharge pondérale, présente une coxarthrose très évoluée. Une indication de prothèse de hanche est légitimement posée. À la suite de l’intervention pratiquée par le Dr A. en 1996, des douleurs persistent, en dépit de divers traitements. Au bout de deux ans, le patient perd confiance et change de chirurgien. Il lui est demandé de maigrir (100 kg). Le 22 novembre 1998, le Dr B. procède à l’ablation de la prothèse pour suspicion de sepsis à bas bruit avec descellement de l’implant fémoral. Pas de repos, car doute septique avec os nécrotique.
Résection tête/col avec mise en traction. Des prélèvements per op. reviennent positifs : staphylocoque aureus et epidermidis. Un traitement antibiotique est prescrit jusqu’en mai 1999. Le 22 juin 1999, le Dr B. procède à une pose de nouvelle prothèse (cotyle de reconstruction vu la détérioration postérieure-Mise en place d’une tige longue de reconstruction avec double ostéotomie fémorale) Intervention longue et difficile. Les prélèvements reviennent négatifs. Antibiothérapie donnée.
En post op. le patient fait un choc hypovolémique accompagné d’importantes complications rénales. Le lendemain, il est transféré à l’hôpital en réanimation – Hémocultures négatives. Admis en service de néphrologie de l’hôpital. 4/5/6/8 juillet : luxations de la PTH prises en charge par plusieurs praticiens pour réduction.Dans les suites, apparition d’un écoulement en regard de la cicatrice. Fièvre.
- 22 juillet 1999 : Septicémie à enterocuccus faecalis. Traitements antibiotiques. Prise en charge en service d’infectiologie.
- 28 juillet 1999 : dépose de la PTH par le Dr C. – Mise en place d’un spacer au ciment Antibiothérapie poursuivie
- 11 octobre 2000 : nouvelle intervention – Pose d’un clou centromédullaire Dr D.
Suivi infectiologique
- 30 avril 2002 ablation du CCM Dr D. Prélèvements. Suivi infectiologue.
Autorisation de déplacement avec deux cannes. Nouvel épisode fracturaire du fémur en se mettant assis.
- 31 octobre 2002 : nouvelle intervention Dr D. (enclouage centromédullaire)
Quelques mois plus tard, atteinte tronculaire du nerf fémoro cutané. Suivi par médecin rééducateur et infectiologie : décembre 2006, normalisation des paramètres infectieux.
- En 2007 : patient jugé inopérable.
Raccourcissement du membre inférieur droit de plus de 14 cm. Pied en équin. Placé en invalidité puis en retraite. Déplacement limité avec 2 cannes, sinon fauteuil roulant.
La problématique posée par le dossier :
Deux infections : l’une en novembre 1998, prise en charge du Dr B en clinique, l’autre en juillet 1999 à l’hôpital. Le patient pouvait assigner devant le Tribunal judiciaire et le Tribunal administratif. Il fait son choix…
- Établissement concerné par la procédure : la clinique dans laquelle le Dr B a opéré le patient.
- Soins chirurgicaux remis en cause : uniquement ceux du Dr B.
- Sur un plan procédural : dans un premier temps, le patient avait assigné le Dr A et la 1° clinique dans lequel il avait été opéré en 1996.
1° expertise :
Hors du contradictoire du Dr B. et de la clinique n°2 dans laquelle le patient avait été opéré. L’Expert retient des manquements à l’encontre du Dr B. (technique utilisée pas conforme) sans même l’avoir entendu… Il dépose un pré-rapport. Appel en cause du Dr B. de la clinique n°2 dans laquelle le Dr B. a opéré ainsi que l’hôpital dans lequel il a été transféré. L’Expert tardant d’organiser un 2° accédit pour entendre les nouvelles parties appelées à la cause est remplacé par un autre Expert désigné par le Juge chargé du contrôle des expertises.
2° expertise :
Le nouvel Expert désigné, beaucoup plus diligent et consciencieux, se fait assister d’un sapiteur en infectiologie et dépose dans les délais un rapport très étoffé. (À noter que la Cour d’Appel estimera que le travail inachevé du 1° expert n’est pas exploitable, car non argumenté et contenant des affirmations sans référence datée).
Un Jugement est rendu… condamnant la clinique dans laquelle le Dr B. a opéré le patient, ce qui n’était pas très cohérent, vu la date des soins (solidarité de droit entre praticien et clinique). Eu égard à l’exécution provisoire, la clinique verse une indemnisation conséquente. L’affaire est réexaminée devant la Cour d’Appel.
La stratégie procédurale adoptée par le Conseil du patient :
Fort des conclusions de la 1° expertise inachevée, le patient va s’attacher à invoquer des manquements à l’encontre du Dr B. Il fait plaider que le Dr B. n’aurait pas utilisé la technique adéquate pour traiter l’infection. Pour ce faire, il produit un extrait d’une thèse de recherche publiée en 2000, sauf qu’il était signalé dans ce document- ce qui ne nous a pas échappé – que plusieurs techniques étaient utilisées, l’indication de spacer antibiotiques ne faisant pas l’unanimité à cette date et constituant la méthode la plus ambitieuse devant une infection de prothèses.
Le patient faisait également état d’une note critique d’un praticien condamnant le choix du Dr B., soutenant que l’absence de mise en place d’un spacer aux antibiotiques était fautive, de même que la dépose suivie d’une mise en traction ayant entrainé une mobilité pathologique dans l’articulation, qui selon ce praticien très critique, auraient fait le lit de l’infection.
Concernant notre défense pour le Dr B. sur les manquements invoqués :
Nous soulignons en réponse que ce débat avait été instauré devant l’Expert et n’avait pas été retenu. Nous rappelons ainsi que la prise en charge d’un professionnel de santé doit s’analyser en fonction des règles de l’Art applicables au moment de la prise en charge et non au moment de l’expertise. Le 2° Expert désigné avait bien appréhendé ce point médico-légal. Pour cet Expert, le 22 novembre 1998, plusieurs techniques de férotomie étaient admises et référencées ; dépose avec mise en traction après résection tête/col ou dépose et mise en place d’un spacer au ciment avec ou non, mise en traction en fonction des critères de stabilité.
Le Dr B. en choisissant la 1° technique qui correspondait à son école de formation et à une technique fréquemment utilisée à l’époque, n’avait fait preuve d’aucun manquement. Certes, l’Expert avait reconnu en réponse à un dire que le surpoids du patient militait plutôt en faveur de la mise en place d’un spacer, mais avait admis que le choix du Dr B. n’était pas contre-indiqué à la date des faits. En outre, il était reproché au Dr B. une absence de ponction préalable à la 1° intervention qui de toute façon était sans incidence, dès lors qu’une infection était fortement suspectée et avait été confirmée par les prélèvements per opératoires.
L’Expert avait cité de la littérature et souligné que la prise en charge des complications ostéo-articulaires infectieuses est très complexe, le chirurgien étant confronté à de nombreuses difficultés et que si, vingt plus tard, des centres régionaux spécialement dévolus à ces complications ont été mis en place, ce n’était pas le cas à l’époque.
La Cour d’Appel a suivi ce raisonnement.
Concernant les infections :
La 1° infection est datée au 9 avril 1998, au vu d’une scintigraphie réalisée plus d’un an après la 1° intervention, compatible avec un descellement de prothèse qui aurait pu être un descellement mécanique vu la surcharge pondérale, mais qui a été considéré comme le signe d’une infection. Avant cette date, hormis les douleurs, le patient ne présentait pas de fièvre, pas de syndrome inflammatoire biologique. Vu le délai écoulé entre la 1° intervention et la survenue de l’infection (2 ans), le Dr A. et la première clinique étaient hors de cause et n’étaient pas dans la cause. Concernant la prise en charge infectieuse par le Dr B. même si elle n’était pas parfaite, selon les Experts, elle avait permis d’endiguer l’infection qui était guérie avant la réintervention du 22 juin 1999.
Par ailleurs, les Experts estimaient qu’il n’y avait pas eu de continuum entre les 2 infections.
Précision capitale !
Notre défense s’est concentrée sur la 2° infection, nous appuyant sur les conclusions du 2° rapport d’expertise. En effet, les préjudices du patient découlant de la 2° infection survenue après la 2° intervention pratiquée par le Dr B. le 22 juin 1999, nous concernaient directement. Ce point de discussion était crucial, car l’assureur du Dr B. risquait d’être contraint d’indemniser le patient solidairement avec la clinique, eu égard à la date de l’intervention (avant la loi Kouchner) sachant en outre que l’état du patient après consolidation était conséquent en terme d’indemnisation.
Il nous appartenait de « décortiquer » sur un plan juridique l’avis sapiteur en infectiologie. Cette 2° infection diagnostiquée le 22 juillet 1999 était décrite comme une infection du site opératoire, étant survenue 30 jours après l’intervention pratiquée par le Dr B., ce qui constituait un point faible pour notre défense. Toutefois, le rapport concluait à un aléa, au motif qu’on ne pouvait pas attribuer de façon certaine cette infection à l’intervention du Dr B.
Plusieurs motifs étaient évoqués : il s’agissait de germes endogènes ; or le patient avait été pris en charge en réanimation (perfusions, sondes urinaires), avait eu des reprises pour luxation de PTH, notamment le 4 juillet 1999, suivie de fièvre et d’un écoulement. Selon le sapiteur, on ne pouvait affirmer s’il s’agissait d’une infection sur prothèse ou d’une infection sanguine.
C’était la pierre angulaire du dossier.
Nous avons utilisé les éléments exploitables juridiquement, notamment le fait que les prélèvements réalisés en per op. lors de l’intervention du 22 juin 1999 étaient négatifs, que la dégradation du patient en post opératoire était lié à un choc hypovolémique et non à un phénomène infectieux et qu’après le transfert du patient, des hémocultures pratiquées à l’hôpital étaient négatives. Ainsi les 1° signes d’infection (écoulement, fièvre) étaient apparus au bout de plusieurs jours et pouvaient découler de la prise en charge hospitalière (réanimation).
Décision de la Cour d’Appel
- La Cour d’Appel – en toute logique – a rappelé qu’il importait peu que le germe soit endogène, dans la mesure où un germe saprophyte devient infectieux à la suite d’un acte invasif qui le fait migrer, lui conférant son caractère pathogène.
- La Cour d’Appel a admis que la présomption liée à l’obligation de sécurité résultat pesant tant sur les professionnels de santé que sur l’Établissement de soins – à la date des faits – pouvait être combattue, et ce, même si l’infection était survenue dans un délai de 30 jours après la prise en charge chirurgicale.
- La Cour a refusé de considérer qu’une infection puisse être qualifiée d’aléa, précisant « l’impossibilité d’identifier précisément, en cas de pluralité d’actes de soins, lequel en a été la cause, ne lui retire pas son caractère nosocomial pour en faire un aléa thérapeutique. »
- Enfin, au vu des arguments que nous avons développés, la Cour d’Appel d’Aix En Provence – dans un arrêt du 17 juin 2021 – a abondé dans notre sens, et a déchargé le Dr B. et la clinique concernée de toutes condamnations, la preuve d’une infection sur prothèse n’étant pas rapportée (le patient devant quant à lui rembourser les indemnisations obtenues en 1° instance à la clinique)
Il appartient à présent au Conseil du patient de livrer une nouvelle bataille devant le Tribunal Administratif pour tenter d’être indemnisé par l’hôpital – des préjudices de son client qui dépasseront très certainement le million d’euros. Je vous laisse imaginer qu’elle va être la défense de l’hôpital…
M° Véronique ESTÈVE
Avocat spécialiste en droit de la santé