Les appels au service d’Assistance Juridique fourni par Branchet Solutions ont vu augmenter de façon exponentielle les demandes concernant les rapports tendus entre les médecins libéraux et les établissements suite à la crise COVID.
Nous faisons le point avec Me Cohen et Me Soulier du cabinet Auber sur ce sujet.
Pouvez-vous nous expliquer d’où viennent les tensions entre les médecins libéraux et les établissements ?
Philip COHEN : En réalité, nous pouvons constater dans de nombreuses cliniques une accumulation de tensions dans les suites de la première vague COVID et du premier confinement en mars 2020 pendant lesquels les praticiens ont dû stopper, pour la plupart, la quasi-totalité de leur activité opératoire habituelle. Dans le même temps, il y a eu une inégalité de traitement entre les établissements de santé privés et les praticiens libéraux au plan de la solidarité nationale : si les premiers se sont vus accorder une garantie de chiffre d’affaires à hauteur de 84%, les seconds n’ont pas été considérés comme des entreprises libérales ce qu’ils sont pourtant. Ils n’ont eu droit qu’à une garantie limitée uniquement de leurs charges avec un pourcentage forfaitisé par spécialité et des primes COVID modestes qui ont été versées avec retard.
Il y eu déprogrammation opératoire bien au-delà de ce qui était nécessaire, voire parfois, sans aucune utilité réelle.
Lors des vagues COVID suivantes, les praticiens libéraux ont constaté dans de nombreux établissements que tous les moyens nécessaires à une reprise optimale de leur activité libérale opératoire, notamment en personnel, ne leur étaient pas fournis. Dans la même période, ils ont dû subir régulièrement, en fonction de l’évolution de la pandémie, des directives de déprogrammation aveugle et uniforme en pourcentage, sans tenir compte des stricts besoins éventuellement nécessaires à la prise en charge des patients COVID et de la spécificité régionale de chaque clinique puisqu’elles n’étaient pas toutes concernées de la même manière. Le tout avec le sentiment en réalité de n’être mis en arrêt que pour servir de supplétif éventuel au service public hospitalier puisque dans de nombreux établissements, il y eu déprogrammation opératoire bien au-delà de ce qui était nécessaire, voire parfois, sans aucune utilité réelle.
Dans le même temps, alors que les établissements de santé privés voyaient leur garantie de chiffre d’affaires prolongée jusqu’à la fin de l’année 2021, les praticiens libéraux ont constaté que dans de nombreux établissements, ils avaient encore moins les moyens, notamment en personnel, de reprendre de façon optimale leur activité libérale opératoire au prétexte de ne pas pouvoir recruter d’infirmiers, de devoir faire face à des départs de personnels titulaires à qui on refusait les revalorisations à l’instar du secteur public, sans oublier l’annonce imprévue de travaux divers et variés entrainant l’indisponibilité d’une partie du secteur opératoire…
Les praticiens, qui savent calculer comme les établissements, ont constaté que de nombreux établissements de santé avaient décidé de combiner la garantie de chiffre d’affaires dont ils bénéficiaient avec une baisse des charges en personnel notamment afin d’améliorer purement et simplement leurs résultats financiers. La publication des chiffres exceptionnellement bénéficiaires pour les groupes de cliniques pour l’année 2020 n’a fait que confirmer ce sentiment.
Tout cela ne peut faire qu’un cocktail explosif entre les cliniques et les praticiens qui subissent une baisse récurrente de leur activité opératoire ou avec des conditions de sécurité pas toujours réunies pour l’activité qu’ils essayent de sauver. Évidemment, la question pour les praticiens n’est pas une simple question économique et financière. C’est surtout une question concernant la prise en charge de leurs patients et leurs interrogations sur leur responsabilité éventuelle quant à une perte de chance que constituerait un retard de prise en charge.
Quels conseils pouvez-vous donner aux médecins déjà sous contrat avec une clinique ?
Laure SOULIER : Qu’ils exercent dans le cadre d’un contrat verbal ou d’un contrat écrit, l’une des obligations essentielles d’une clinique est de permettre aux médecins de pouvoir y exercer en mettant à leur disposition non seulement tous les moyens en matériel, mais encore tous les moyens en personnel prévus par les dispositions légales et réglementaires, imposées par la sécurité des patients et la qualité des soins, ce qui est d’ailleurs dans le cadre des autorisations d’activité de soins dont elles bénéficient.
Il faut bien avoir conscience que cette obligation des cliniques vis-à-vis des praticiens n’est pas une simple obligation de moyens, mais une véritable obligation de résultat. Cela signifie que la clinique ne s’engage pas vis-à-vis du praticien à dire « je vais essayer de tout faire pour vous donner les moyens d’opérer… et je fais ce que je peux… ». Cependant, elle a l’obligation de mettre ses moyens à la disposition des praticiens, faute de quoi elle engage bien sa responsabilité en cas de préjudice en résultant pour ces derniers. Il s’agit donc d’une obligation de faire à laquelle les cliniques doivent faire face.
De la même manière que les médecins s’engagent pour leur part à prendre en charge les patients qui rentrent dans les cliniques et qui ne peuvent pas dire « je vais voir si je peux », la clinique doit leur permettre de les prendre en charge dans des conditions conformes aux normes légales et réglementaires.
Ni les praticiens ni surtout les patients ne peuvent attendre janvier 2022 où n’existera plus la garantie de chiffre d’affaires des cliniques.
Entendons-nous bien : ce n’est pas le cas dans toutes les cliniques, mais bien dans un nombre significatif d’établissements qui posent problème avec souvent des mesures autoritaires qui se veulent dissuasives sans doute de rupture de contrat à l’encontre de ceux qui s’expriment le plus dans les cliniques….
Il appartient donc aux médecins dans le cadre éventuellement de la CME et en tout cas de façon unie, de faire respecter par les cliniques leurs obligations contractuelles fondamentales. Ainsi, il est parfaitement envisageable, après une mise en demeure restée vaine et en rapportant les preuves objectives de la carence, de demander en référé le respect de leurs obligations de faire sous peine d’astreinte
Pour les jeunes médecins qui vont s’installer ou qui sont en cours de discussion, quelles sont vos recommandations ?
PC et LS : Notre première recommandation est déjà de lire attentivement le guide de l’installation que nous avons établi en partenariat avec Branchet dont le contenu est d’autant plus d’actualité en période de tensions comme celle que nous vivons.
Il est plus que jamais important de s’assurer du caractère pérenne de l’installation qu’ils envisagent et évidemment de se faire utilement conseiller dans leur projet et leur formalisation juridique et comptable. Il est également important de redire qu’il vaut mieux ne pas avoir le même assureur que son établissement pour faire valoir ses droits en cas de conflit.
Est-ce que vous avez des propositions à faire aux médecins et aux établissements pour l’avenir ?
PC : Les crises entre praticiens et établissements de santé privés, comme entre praticiens eux-mêmes, proviennent toujours d’une absence d’écoutes mutuelles et d’une difficulté en conséquence de communiquer utilement pour trouver une solution ensemble.
La médiation est incontestablement le lieu qui par nature a pour objet de permettre à des parties de pouvoir recommuniquer ensemble. On pourrait donc songer à instaurer une instance de médiation activable en cas de crise qui pourrait être sollicitée à la demande d’une partie et proposée à l’autre.
On rappellera que dans les autres domaines où la médiation existe, elle a déjà fait ses preuves même s’il n’y a aucune garantie de résultat à 100% et que selon les cas celle-ci peut avoir lieu avec ou sans conseil.