Un chirurgien plasticien exerçait son activité au sein d’une installation autonome de chirurgie esthétique (IACE) pour laquelle il bénéficiait à titre personnel d’une autorisation délivrée par l’ARS. Cette installation, bien qu’intitulée « Clinique », n’était pas dotée d’une personnalité morale.
Une patiente, âgée de 20 ans, bénéficiait d’une réduction mammaire dans les locaux de cette IACE. Dans les suites de cette intervention, elle présentait une dermo-hypodermite nécrosante au niveau du site opératoire.
La procédure en référé-expertise
Souhaitant obtenir réparation des préjudices résultant de l’infection présentée, la patiente assignait devant le Juge des référés le chirurgien plasticien, l’anesthésiste, l’IACE et l’ONIAM afin qu’une expertise soit diligentée.
Aux termes de son rapport, l’Expert concluait à la survenue d’une infection associée aux soins sans qu’aucun manquement ne puisse être retenu à l’encontre du chirurgien plasticien et de l’anesthésiste.
Il écartait la qualification d’infection nosocomiale, considérant qu’elle était réservée aux infections contractées au sein d’un établissement de santé dont les IACE ne font pas parties.
La procédure devant le Tribunal judiciaire
Recherchant une indemnisation de ses préjudices, la patiente assignait devant le Tribunal judiciaire l’IACE désignée sous le terme de « Clinique » et le chirurgien plasticien.
La patiente soutenait que le chirurgien plasticien se devait d’indemniser ses préjudices en sa qualité de chef d’établissement de santé responsable de plein droit au titre d’une infection nosocomiale.
Le praticien mettait en avant le fait que la structure était dénuée de personnalité morale et qu’en l’absence de manquement lui étant directement imputable, sa responsabilité devait être écartée.
Par jugement en date du 17 mai 2018, le Tribunal faisait droit aux demandes de la patiente et condamnait le chirurgien à indemniser ses préjudices en sa qualité de chef de cette structure qui était « assimilée à un établissement, un service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ».
En effet, le Tribunal indiquait que :
« il est constant d’une part que la structure exploitée par [le chirurgien], qui est au demeurant désignée par le terme « Clinique », accueille des patients dans le cadre d’un contrat d’hospitalisation et propose à ces derniers des chambres équipées de tout le matériel médical nécessaire. D’autre part, y sont réalisés non seulement des actes médicaux simples, mais également comme en l’espèce de véritables interventions chirurgicales invasives, nécessitant la réunion d’une véritable équipe médicale composée du chirurgien, du médecin anesthésiste et d’un personnel médical assurant une assistance ainsi qu’une surveillance pré, per et post-opératoire.
Ce type de prise en charge ne peut ainsi relever de la médecine de ville pratiquée en cabinet eu égard aux contraintes d’asepsie, de gestion des risques médicaux, et des certifications et autorisations nécessaires pour pratiquer de tels actes ».
Dans ces conditions, le Tribunal estimait que l’infection contractée par la patiente devait être considérée comme une infection nosocomiale dont les conséquences devaient être indemnisées par le responsable de la structure ; en l’espèce, le praticien lui-même.
Le chirurgien interjetait appel de ce jugement.
La procédure devant la Cour d’appel
Par arrêt en date du 5 septembre 2019, la Cour d’appel confirmait le jugement entrepris en ce que le chirurgien devait être considéré comme le dirigeant de l’IACE qualifiée d’établissement de santé et tenu en conséquence d’indemniser les conséquences de l’infection nosocomiale contractée par la patiente au sein de sa structure.
Un pourvoi en cassation était formé par le chirurgien afin que la Cour de cassation reconnaisse que l’IACE ne pouvait être considéré comme un établissement de santé et qu’en conséquence la responsabilité du chirurgien ne pouvait être retenue qu’en cas de faute.
L’arrêt de la Cour de cassation
Par arrêt en date du 8 décembre 2021, la Première Chambre civile de la Cour de cassation a confirmé qu’une installation autonome de chirurgie esthétique ne constituait pas un établissement de santé.
La Cour de cassation a cependant rappelé que l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique relatif à l’indemnisation des dommages résultant d’une infection nosocomiale ne concernait pas uniquement les établissements de santé privé mais également les services dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins.
Or, la Cour a considéré qu’une IACE constitue un service de santé dans lequel sont réalisés des actes de soins et qu’en conséquence, elle est soumise, comme les établissements de santé, à une responsabilité de plein droit en matière d’infections nosocomiales.
La motivation de la Cour de cassation est la suivante :
« 4. Selon l’article L. 1142-1, I, alinéa 2, du code de la santé publique, les établissements, services et organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère.
5. Une installation autonome de chirurgie esthétique constitue un service de santé, régi par les dispositions des articles L. 6322-1 à L. 6322-3 et R. 6322-1 à D. 6322-48 du code de la santé publique, dans lequel sont réalisés de tels actes, de sorte qu’elle est soumise, comme un établissement de santé, à une responsabilité de plein droit en matière d’infections nosocomiales.
6. La cour d’appel a constaté que [la patiente] avait contracté une infection nosocomiale dans les locaux de l’installation autonome de chirurgie esthétique dirigée par [le chirurgien].
7. Cette installation étant soumise à une responsabilité de plein droit, il en résulte que [le chirurgien] ès qualités était tenue, en l’absence de preuve d’une cause étrangère, d’indemniser les préjudices subis par [la patiente] en lien avec l’infection nosocomiale ».
La Cour de cassation en conclut donc que le chirurgien plasticien titulaire de l’autorisation et qui détient cette IACE est tenu de plein droit, en l’absence de preuve d’une cause étrangère, d’indemniser la victime qui a contracté une infection qualifiée de nosocomiale dans les locaux de son installation.
CE QU’IL FAUT RETENIR :
Ainsi, la responsabilité de plein droit du fait d’une infection nosocomiale, ne concerne pas uniquement les établissements de santé publics ou privés, mais s’applique également à toutes les structures au sein desquelles des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins sont dispensés.
Il est donc primordial pour tous les praticiens exerçant une activité médicale dans le cadre d’une structure autonome de doter cette structure d’une personnalité morale afin de permettre une distinction entre :
- l’assurance couvrant la responsabilité civile professionnelle du médecin qui exerce au sein de cette structure, responsabilité qui ne peut être engagée sur pour faute
- et l’assurance de la structure elle-même au sein de laquelle les soins sont dispensés et qui devra donc être assurée de manière distincte pour les dommages résultant notamment d’une infection nosocomiale, responsabilité de plein droit.
Julie SODE
Laure SOULIER
Philip COHEN