Supplémentation en vitamines B1 : une responsabilité d’équipe

Les faits

La patiente, âgée de 47 ans présente un IMC de 38,3 associé à des comorbidités sous la forme d’un syndrome d’apnée du sommeil modéré et d’un diabète de type II. Elle souhaite bénéficier d’une sleeve gastrectomie et consulte un chirurgien à cette fin.

Après réalisation d’un bilan complet, elle est opérée le 30 septembre 2013 par le Dr CHIR qui réalise une sleeve gastrectomie sous coelioscopie associée à une cure de hernie hiatale. Un test au bleu est réalisé en fin de geste et un TOGD réalisé dans les suites opératoires ne relèvera aucun problème au niveau des sutures.

Les prescriptions post-opératoires comportent une réanimation hydroélectrolytique, des antalgiques et des HBPM. La patiente est admise en post-opératoire en USC où elle sera vue quotidiennement par le chirurgien et les anesthésistes-réanimateurs.

Les suites post-opératoires sont marquées à J5 par des douleurs abdominales associées à une tachycardie et une désaturation en oxygène, justifiant la prescription d’un scanner qui mettra en évidence un épanchement abdominal.

Une reprise chirurgicale est réalisée révélant un abcès sous phrénique qui sera lavé et drainé et un nouveau contrôle des anastomoses par un test au bleu est réalisé qui ne montre aucune anomalie. Une fistule apparue secondairement est diagnostiquée conduisant à 3 tentatives de mise en place d’une prothèse.

En raison de ces trois échecs, la patiente est finalement transférée au CHU où une endoprothèse œsogastrique sous endoscopie est mise en place 2 mois après le geste initial puis la patiente retourne rapidement à la clinique.

Dès son retour à la clinique, une somnolence, une surdité ainsi que des troubles de la parole conduisent à la réalisation d’un scanner qui permettra de confirmer une encéphalopathie Gayet – Wernicke. Des vitamines B1 sont alors immédiatement prescrites, permettant une amélioration rapide de l’état de la patiente qui était autorisée à regagner son domicile le 15 janvier 2014, soit trois mois après le geste initial.

La patiente conserve cependant d’importantes séquelles neurologiques.

La procédure

La patiente et son époux, considérant que l’état actuel de Madame découle de la réalisation de sa sleeve déposent une demande d’indemnisation devant la CCI à l’encontre du chirurgien et de la Clinique.

La CCI désigne un collège d’experts composé d’un chirurgien digestif et d’un neurologue.

A l’issue de la première expertise, a été décidée la mise en cause secondaire des anesthésistes-réanimateurs et du CHU, les experts ayant relevé une absence de prescription de supplémentation en vitamines en post-opératoire alors que la patiente étant dans l’impossibilité de s’alimenter seule.

Il est à noter que compte tenu de la durée d’hospitalisation en USC, l’intégralité de l’équipe des anesthésistes-réanimateurs a été amenée à assurer la prise en charge de cette patiente, conduisant ainsi à la mise en cause de 7 anesthésistes-réanimateurs.

Compte tenu des troubles importants présentés par la patiente, la désignation d’un co-expert psychiatre était également sollicitée.

Le rapport d’expertise

Après la seconde réunion d’expertise, les experts ont déposé leur rapport au terme duquel ils ont retenu que le dommage consistait en la survenue d’un syndrome de Gayet Wernicke dans les suites d’une chirurgie bariatrique.

Si la complication chirurgicale était qualifiée d’accident médical non-fautif, les experts précisaient que la survenue d’un syndrome de Gayet Wernicke était en lien de causalité direct, certain et exclusif avec une absence de supplémentation vitaminique, imputable à l’ensemble de l’équipe médico-chirurgicale.

Les experts ont précisé que ce manquement était imputable à hauteur de 50 % pour le CHU, les 50 % restants étant à répartir entre les 7 MAR et le CHIR, la clinique étant mise hors de cause.

L’avis rendu par la CCI

La commission s’est déclarée compétente et a invité l’assureur du CHU (pour 50 %) et les assureurs des 7 MAR et du CHIR à indemniser les préjudices de la patiente (pour les 50 % restants) à savoir :

  • Perte de gains professionnels liés à l’arrêt temporaire des activités professionnelles durant 8 mois
  • Soins générant les dépenses de santé selon justificatifs
  • Tierce personne : 3 heures par semaine durant 3 mois
  • Gênes temporaires durant 7 mois
  • Souffrances endurées : 3/7
  • AIPP : 5%

Que faut-il retenir ?

Si les patients sont placés en USC sous la responsabilité médicale des anesthésistes, cela n’exclut pas le suivi chirurgical qui relève de la compétence du chirurgien.

Le suivi de la réalimentation et de l’alimentation du patient ainsi que les prescriptions vitaminiques supplémentaires en matière de chirurgie bariatrique sont effectuées par le chirurgien, conformément aux recommandations de la HAS de 2009 relatives à la prise en charge chirurgicale de l’obésité chez l’adulte.

Les carences en vitamines dans les suites d’une chirurgie bariatrique font l’objet de multiples procédures et il est régulièrement retenu tant par les experts que par les juridictions une responsabilité partagée entre les différents professionnels de santé ayant eu à assurer la prise en charge de ces patients.

En effet si l’on peut considérer que la surveillance strictement chirurgicale incombe au chirurgien, il est néanmoins reproché aux anesthésistes une prise en charge isolée et l’absence de toute discussion collégiale qui aurait permis, selon eux, de réévaluer la situation et de s’interroger sur la nécessité de prescrire une supplémentation en vitamine.

Cette absence de discussion collégiale constitue en soi une faute, globalement imputable à l’ensemble des praticiens mis en cause, avec comme conséquence éventuelle une perte de chance indemnisable.

La traçabilité dans le dossier des passages et constatations de chacun des médecins concernés dans la prise en charge d’un patient, de même que la traçabilité des discussions collégiales ayant pu survenir reste donc un élément essentiel de protection et de défense.


Laure SOULIER

Avocat associé

Cabinet AUBER

21 février 2022