Urologie et Go-no go : un choix toujours binaire ?

Urologie et Go-no go un choix toujours binaire

Vous allez commencer une cystectomie sans lit disponible en USC, mais avec la possibilité qu’une place se libère. Vous n’avez pas accès aux images avant une néphrectomie partielle du fait d’une panne informatique.Vous avez eu une urgence de nuit prolongée et votre programme débute à 8h. Vous êtes prévenu tardivement de l’absence de l’infirmière référente robotique. Le générateur laser est utilisé par un collègue pour « 10 min encore » ou plus ! Le médecin anesthésiste n’est pas présent au moment du Time out… Vous y allez ou non ??

Go-no go : comment prendre la bonne décision ?

Un tel choix paraît facile à faire lorsque les conditions sont manifestement mauvaises et non récupérables comme le manque d’un matériel nécessaire, la non-réalisation d’un ECBU avant intervention prostatique ou quand elles sont assurément favorables dès lors que les informations ont été croisées, que tous les items des deux premiers temps de la checklist (CL) ont été validés collégialement par les différents intervenants. 

Mais au quotidien du bloc opératoire, la situation est souvent moins claire, quand les conditions sont singulières, liées à des pressions externes pouvant influencer la décision d’intervenir ou pas ; la notion de temps, la file active de patients, les conditions d’exercice, les obligations professionnelles et les engagements personnels peuvent être de puissants facteurs décisionnels. A souligner que la procédure « No Go » peut entrainer une mise en jeu de la responsabilité médicale quel que soit le mode d’exercice du praticien hospitalier ou libéral. Même l’anesthésiste ou le chirurgien le plus attentif à la sécurité des patients peut trouver très difficile de récuser un acte programmé, en considération de l’attente du patient, du risque d’un délai de prise en charge préjudiciable ou de désorganisation du planning opératoire. 

👉 Le choix Go-No Go n’est donc pas toujours simple ; il n’en est pas moins vrai qu’une décision prenant d’abord en compte la sécurité du patient peut éviter une prise de décision à risques en cours d’intervention face à une situation qui s’est compliquée.

Définition du No Go

En chirurgie, le No Go correspond à l’arrêt immédiat d’une procédure chirurgicale entre le moment où le patient est entré en salle d’opération et l’incision cutanée ; tous les éléments indispensables au bon déroulement d’une anesthésie ou d’une intervention chirurgicale ne sont pas réunis, qu’il s’agisse d’un problème médical ou du résultat d’un défaut d’organisation, de coordination, de communication et de vérification des conditions requises pour l’intervention.

De ce fait, réaliser une intervention dans ces conditions constituerait un risque supplémentaire pour le patient. Cette disposition du Go-No Go qui s’intègre dans la démarche de qualité des soins a été introduite dans la version 2018 de la CL « Sécurité du patient au bloc opératoire » en même temps que le Time out, temps de pause avant incision au sein de l’équipe pour « ultime » vérification croisée. Interrompre la procédure anesthésique ou chirurgicale relève d’une décision collective, concertée entre l’anesthésiste, le chirurgien, le coordinateur de la checklist qui est le plus souvent une ibode ou une infirmière de salle.

➡️ Ce No Go conduit à plusieurs situations : – la sortie du patient du bloc et la reprogrammation de l’intervention – une interruption momentanée avec reprise de la procédure si le problème soulevé a trouvé une solution – l’option de poursuivre l’intervention sans interruption, ce qui s’écarte manifestement de la garantie sécuritaire du Time out et du No Go et qu’il peut être difficile de justifier en expertise médico-légale.

Statistiques sur les No Go

L’analyse de la base REX d’Orthorisq 2014-2015(1) a recensé 101 EIAS déclarés sur ce thème : 43,5 % de No Go avant anesthésie, 56,5 % après l’induction ; les causes de No Go le plus souvent retrouvées sont les problèmes liés à une mauvaise gestion et à une indisponibilité du matériel et des dispositifs médicaux (37 % des cas), une stérilisation défectueuse (16 %), des erreurs dans la gestion du traitement médicamenteux (anticoagulant ou antiagrégant)(13 %), des problèmes cutanés à proximité du site opératoire (11 %).

Par ailleurs, une enquête des adhérents d’Orthorisq a montré que 72,6 % des chirurgiens répondants ont été amenés, au moins une fois, à stopper une procédure chirurgicale avant ou après l’anesthésie et avant la réalisation de l’incision. Dans la moitié des No Go survenus, la CL « Sécurité du patient au bloc opératoire » avait été validée.

‼️ Dans plus de 80 % des cas, la notion de No Go n’apparaissait pas dans le document d’information préopératoire remis au patient, et cette information n’avait pas été tracée dans son dossier.

Importance de la checklist

Défis dans la mise en place de la checklist

Ces No Go et ces anesthésies inutiles auraient pu être évités si la checklist, obligatoire rappelons-le, avait été réalisée correctement et en présence de tous les intervenants ; beaucoup d’événements indésirables graves ne seraient probablement pas survenus (2). Il a été largement démontré que l’utilisation standardisée de la CL améliore de manière significative la sécurité des patients, notamment en termes de morbi-mortalité, d’erreurs de côté, d’infection postopératoire et de réinterventions (3).

Si la CL est globalement acceptée par les professionnels et particulièrement les jeunes générations d’anesthésistes et de chirurgiens, ainsi qu’en témoigne l’enquête réalisée par l’AFU et l’AFUF auprès de 369 urologues (4), le manque de cohésion et de communication au sein des équipes rend difficile la tâche de coordinateur pour la vérification croisée des points critiques. Dans l’enquête urologique), seulement 47,18 % des urologues ont été toujours présents au démarrage de la CL et 5,98 % ne l’ont jamais été ; à peine 25% des répondants ont fait des temps de pause de façon systématique et majoritairement avant l’incision.

Adaptation de la checklist

Pour une meilleure appropriation, la simplification de la CL paraît nécessaire en l’adaptant aux différentes spécialités et à l’environnement hospitalier tout en gardant une partie socle commune, ciblant les risques majeurs de non-conformité. La CL générique et les CL spécialisées peuvent ne pas convenir à la pratique de tous les professionnels. C’est pourquoi, la HAS encourage l’élaboration de CL personnalisées (5).

Toutes les adaptations sont possibles, dès lors qu’elles ont fait l’objet d’une concertation menée entre les professionnels concernés. Ce peut être par exemple, une CL matériel par type d’intervention : chirurgie robotique, Urétéroscopie-laser, Holep… Avant de commencer une chirurgie coelioscopique ou robotique, cela peut consister en la vérification des systèmes aspiration-lavage-coagulation-CO2 ou de la présence d’une boîte de chirurgie vasculaire.

Si la culture sécuritaire de la checklist imprègne de plus en plus le milieu chirurgical et anesthésiste, la pratique du No Go est vécue comme un échec, rompant le contrat de confiance avec le patient et entraînant une désorganisation de l’activité (retard, report, annulation) ; tous les prétextes sont bons pour ne pas interrompre une procédure chirurgicale au contraire de la culture ancienne des aviateurs, formatés au Stop or Go , qui ne décollent qu’après avoir éliminé toutes les causes de No Go .

👉 Cette acceptabilité du No Go peut être d’autant plus déculpabilisante, que le patient a été informé en préopératoire de l’éventualité d’une annulation de l’intervention avant l’incision quand la situation l’exige.

Cohésion d’équipe et checklist

Les facteurs humains sont fréquemment en cause dans la survenue des EIAS et notamment les difficultés, voire la rupture, de communication au sein des équipes. Le No Go en est souvent la conséquence. Pour l’éviter au maximum, il faut partager les informations, avoir défini et protocoliser « qui fait quoi » dans la gestion et la prescription des 3A (antibiotiques, anticoagulants, antiagrégants), savoir anticiper ce qui pourrait mal se passer au cours de l’intervention lors d’un staff , d’un briefing  particulier, contrôler les données et différentes procédures réalisées à l’admission du patient (identitovigilance, dossier médical, consentement éclairé, côté à opérer, antibioprophylaxie, préparation cutanée…), ne pas hésiter à reconnaître ce qui ne va pas et le solliciter si nécessaire de la part d’un autre membre de l’équipe, bien évaluer toute situation critique ou anormale pour prendre la décision la plus adaptée dans l’intérêt du patient.

Renforcer la sécurité du patient

Les conditions dégradées de fonctionnement des blocs opératoires, telles qu’elles sont décrites actuellement sur le plan logistique, matériel et humain (manque de personnel, changements d’équipe, insuffisance de formation, interim, polyvalence…) multiplient le risque d’erreurs et incitent à la plus grande vigilance.

L’enquête de l’AFU (4) a montré notamment que l’accréditation en équipe permettait une meilleure adhésion à la CL et au respect du Time out. D’où l’intérêt des formations sur la prévention et la gestion du risque, telles que celles proposées par Branchet Solutions et ASSPRO (Association de Prévention du Risque Opératoire) et par les sociétés savantes et organismes d’accréditation (AFU et Urorisq) (6).

En 2018, la HAS a émis une Solution pour la Sécurité du Patient(7) (SSP) relative au No Go en trois points :

Comment prévenir un No Go ?

  • S’assurer 48 heures avant l’intervention de la disponibilité du matériel chirurgical et des dispositifs médicaux nécessaires du fait des problèmes de délais de commande, de rupture de stocks ou de retards de livraison. Etablir une CL matériel pour chaque intervention est recommandé.
  • La veille de l’intervention, confirmer et tracer les modalités de prise en charge et les adaptations médicamenteuses (AAP, anticoagulants).
  • Le jour même de l’intervention, vérifier l’état cutané du patient et faire un dernier point sur ses traitements et sur les contrôles biologiques éventuellement nécessaires. 

Tous ces éléments sont tracés dans le dossier du patient. Le rôle de chaque professionnel pendant toute la durée de la prise en charge des patients est défini par écrit, connu et respecté (cf. point clé 10 de la SSP « Coopération anesthésistes-réanimateurs et chirurgiens »).

Comment récupérer un No Go ?

  • Réaliser correctement et collectivement la CL pour prendre une décision concertée et éclairée quant à la poursuite ou non de l’intervention.
  • S’assurer que les conditions de l’intervention sont réunies sur les plans matériel et humain.
  • Renforcer la concertation et la communication au sein de l’équipe afin de faciliter la prise de décision.

➡️ La version 2018 met l’accent sur la participation effective de l’équipe dans la réalisation de la check-list pour décider ensemble et avant incision, de la poursuite (Go) ou de l’arrêt immédiat (No Go) d’une intervention chirurgicale (temps 2 de la check-list).

Comment atténuer le No Go, une fois survenu ?

  • Proposer une aide cognitive « POUR-DECider » afin d’aider les équipes à structurer la prise de décision dans cette situation inattendue.
  • Informer le patient ou la personne de confiance par le chirurgien ou l’anesthésiste de la survenue d’un No Go et de ses conséquences potentielles. Tracer les informations communiquées.
  • Déclarer l’incident dans le système de déclaration de l’établissement.
  • Analyser de manière approfondie l’événement indésirable afin d’en identifier les causes (RMM, CREX, etc.), mettre en place des actions correctrices et mesurer leur efficacité.
  • Déclarer l’incident du fabricant en cas de problème de matériel.

Impact juridique de la checklist et du No Go

Documentation dans le dossier patient

La CL n’est qu’une des pièces à apporter au dossier en cas de contentieux médico-juridique, mais elle peut être confrontée à d’autres documents et fournir à l’expert des indications sur sa cohérence et la façon dont elle a été remplie : pré-remplissage, remplissage numérique automatique par l’infirmière de bloc, horaires discordants, antibioprophylaxie inadaptée, troisième temps post-opératoire oublié, défaut de signatures (non obligatoires, mais conseillées) …

Conséquences médico-légales du No Go

Pour le No go, les conséquences médicolégales (8) sont exceptionnelles, mais plusieurs patients ont engagé une procédure pénale directement liée à la survenue du No Go à l’encontre du chirurgien et/ou de l’anesthésiste et/ou de l’établissement de soins ; leur responsabilité peut être partagée en particulier entre le chirurgien et l’anesthésiste.

Sur le plan pénal, la qualification d’infraction est difficile à établir, la responsabilité pénale supposant en effet la réunion de trois critères : une faute, un dommage corporel subi par le patient, et un lien de causalité certain entre la faute et le dommage.

Sur le plan civil, le patient (ou son conseil) peut soulever le défaut d’information à partir du moment où il n’a pas été informé de ce type de procédure lors de la consultation pré opératoire. Pour éviter cela, les fiches info patient de l’AFU (9) mentionnent : « Au cours de cette intervention, le chirurgien peut se trouver en face d’une découverte ou d’un événement imprévu nécessitant des actes complémentaires ou différents de ceux initialement prévus, voire une interruption du protocole prévu » et elles comportent la demande de consentement éclairé du patient. Actuellement, la jurisprudence ne permet pas de retrouver de jugements ou d’arrêts concernant le No go.

Toutefois, l’enquête menée par Orthorisq (8) montre que des instructions pénales sont en cours dans deux cas avec décès du patient. En CCI, il faut que la procédure No Go entraine un préjudice avec un taux d’IPP supérieur à 24 % et/ou des conditions précises.

Que doit-on faire et ne pas faire en cas de No Go ?

Prévenir le patient en pré opératoire de l’existence de cette procédure et de la survenue possible d’un No Go. Lui remettre la fiche info mentionnant le risque d’interruption de l’intervention et tracer l’information donnée dans le dossier médical du patient.                                                                                                                                                                         

  • Prévenir son assureur en responsabilité civile (exercice libéral), l’établissement clinique ou l’hôpital où on exerce.                                                                                                     
  • Déclarer l’EIAS 
  • Reprogrammer l’intervention avec le patient en fonction de chaque cas particulier.
  • Procéder à une RMM en cas de complication sévère ou de décès.
  • Éviter la récidive du No Go et revoir toutes les procédures utilisées en péri-opératoire.

Conclusion

Le Go-No go est une procédure de sécurisation des pratiques mise en place avant tout dans l’intérêt du patient. Son utilisation est le résultat d’une décision de l’équipe du bloc opératoire et elle implique secondairement le déclenchement d’une réflexion collective avec retour d’expérience (REX) et démarche de gestion des risques (analyse des causes, barrières de sécurité).

Les anesthésistes et chirurgiens ne doivent pas négliger cette option et ils sont de plus en plus sensibilisés à se l’approprier et à y recourir dès que les conditions de sécurité ne sont pas remplies à l’énoncé de la checklist ou du fait du non-respect du Time out.

Jean-Luc Moreau pour le Pôle Urologie Branchet


Références 

(1) e-mémoires de l’Académie Nationale de Chirurgie, 2016, 15 (1) : 065-069 65 – Le « No Go » en chirurgie orthopédique. E Benfrech, C Lecoq (†), L Zabee, PH Tracol, H Coudane et ORTHORISQ

(2) Risques et Qualité, Octobre 2020 – 25 événements indésirables graves au bloc opératoire que l’on aurait pu éviter… P. Cabarrot et al

(3) N Engl J Med 2009, 360 :491-499 A Surgical Safety Checklist to Reduce Morbidity and Mortality in a Global Population – A-B. Haynes et al

 (4) Progrès en Urologie, Janvier 2023, Volume 33, Issue 1,  Pages 12-20 Les pratiques professionnelles des chirurgiens urologues en France concernant la check-list au bloc opératoire.  M. Abdessater et al

(5) HAS, mars 2023 Sécurité du patient au bloc opératoire : la HAS propose de personnaliser sa check-list

(6) Progrès en Urologie , Novembre 2022, Volume 32, Issue 14, Pages 998-1008 Les complications en chirurgie urologique. L’urologue acteur de la gestion des risques. J. Irani et al

(7) HAS, novembre 2018 – Les check-lists pour la sécurité du patient – OUTIL D’AMÉLIORATION DES PRATIQUES PROFESSIONNELLES 

 (8) e-mémoires de l’Académie Nationale de Chirurgie, 2016, 15 (1) : 070-072 70 – Les aspects médico-légaux du « No Go » en chirurgie orthopédique. H Coudane et al

(9) https://www.urofrance.org/publications/fiches-infos-patients/